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aurait pu ajouter que sa maîtresse s’était toujours exprimée sévèrement sur les équivoques créées par les mariages de conscience.

Mais « tout change, » ainsi qu’elle l’avait dit au Roi dans leur grande conversation entre les deux portes[1]. Mademoiselle encourageait Lauzun à prendre vis-à-vis d’elle des airs de maître. Il la dirigeait, et elle lui était passionnément soumise : « Il me regardait tant, que je n’osais plus pleurer, et le pouvoir qu’il avait sur moi retenait mes larmes ; c’est en avoir beaucoup : car on n’en est pas maître soi-même. » Ce fut d’accord avec lui qu’elle fit maison nette de ceux de ses gens qui avaient blâmé leur premier projet. M. de Montausier et Mme de Se vigne essayèrent inutilement de sauver Segrais, qui était de leurs amis : « Elle n’est pas traitable, écrivait Mme de Sévigné, sur ce qui touche à neuf cents lieues près de la vue d’un certain cap[2]. » Ce fut Lauzun qui désigna le successeur de Guilloire, l’intendant, et qui soumit ce choix au Roi. Il y avait de quoi donner à penser. Lauzun en avertissait Mademoiselle : « On dira dans le monde que je veux faire le maître ; que je veux tout gouverner chez vous. » Elle répondait : — « Plût à Dieu que vous le voulussiez ! c’est ce que je souhaite avec passion. »

Elle lui avait confirmé par de nouveaux actes les folles donations du contrat, et le Roi rivalisait de générosité avec sa cousine. A en croire les courtisans, Louis XIV avait promis à Lauzun qu’il ne perdrait rien à ne pas épouser Mademoiselle. En tout cas, il le comblait. C’était des entrées de faveur, c’était le gouvernement du Berri, c’était 50 000 livres pour payer ses dettes, et il y avait apparence que sa fortune ne s’arrêterait pas en si beau chemin. Louvois s’en inquiétait, et amassait des trésors de haine contre le favori.

L’hiver se passa de la sorte. Au printemps, la Cour retourna en Flandre. Pendant un séjour à Dunkerque, on parla si haut de l’intimité du « nain » avec la Grande Mademoiselle, que cette princesse l’apprit : — « On fit courre le bruit que nous nous étions mariés avant que de partir de Paris, et la Gazette de Hollande le dit. On me l’apporta pour me la montrer. Il riait, je ne dis rien ; je la lui envoyai. » Deux pages plus loin, une autre conversation prouve que la nouvelle était tout au moins prématurée ; mais le public avait le droit de s’y tromper, tant les

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1904.
  2. Lettre du 1er avril 1671.