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ses traditions, comme par le plus ardent patriotisme, devait naturellement se montrer intrépide.

On ne saurait trop y insister. C’est dans sa force morale qu’il faut chercher la cause essentielle des succès répétés de l’armée japonaise. Certains détails permettent de se rendre compte de la puissance de cette force. En avril 1904, paraissait à Tokio le premier numéro d’une revue trimestrielle, où son directeur, le colonel d’état-major Kinkodo, exposait les origines de la guerre et comparait la force des deux belligérans. La statistique des deux nations impressionne par l’énorme différence des chiffres. Cent quarante millions d’habitans contre quarante-quatre millions. Cinq milliards de budget vis-à-vis de 775 millions. Dépenses militaires annuelles : 750 millions contre 95 millions. Sur le pied de paix, un million de soldats à opposer à 175 000 hommes, tandis que sur le pied de guerre, la Russie dispose de 4 600 000 hommes contre 675 000 Japonais. En présence de tels chiffres, on se demande comment le Japon a pu oser affronter un aussi formidable adversaire. C’est que le nombre n’est pas tout. Il y a autre chose, que la statistique ne saurait dénombrer.

Le colonel Kinkodo l’indique : le Japon possède certaines vertus, certaines qualités morales qui l’élèvent au niveau de son adversaire, et cela en dépit de l’énorme faiblesse comparative de ses ressources matérielles et financières. Le patriotisme est la religion du Japon ; l’esprit de cette religion, dans la famille comme dans l’État, réside dans le culte des ancêtres, et l’une des plus émouvantes cérémonies de la vie religieuse au Japon est la grande fête du Yasukuni Jinja, avec les hommages offerts aux mânes des soldats morts pour la patrie. Dans ce culte et dans l’esprit de patriotisme religieux qu’il évêque, toute la nation est étroitement unie. Cet esprit fut de tout temps entretenu avec le plus grand zèle par les maîtres qui ont donné pour modèle à toute la jeunesse le « Bushido, » littéralement : « la voie des chevaliers. » C’est l’exposé des mœurs et des coutumes des Samouraïs, les anciens chevaliers. Aucun Japonais ne saurait hésiter entre la forfaiture au patriotisme et la mort. Ce culte des ancêtres dont chacun est pénétré a conduit à ce grand principe qui domine toutes les actions. « La vie est un accident que la mort répare. » Pour une âme pénétrée de ce sentiment, une seule lâcheté empoisonne la vie, et dès lors celle-ci ne vaut plus la peine d’être vécue. A la force que cette morale développe, vient