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ni vivres, ni objets de rechange. Les effectifs sont faibles, les marches sont dès lors faciles, sans à-coups, sans incidens émouvans et pénibles. Elles se font à l’aise. Les cantonnemens donnent de bons abris ; les bivouacs sous la pluie et sans distributions sont rares. Sous le rapport de la nourriture, les soldats, même les pauvres, ont de l’argent et partout achètent des supplémens à la ration quotidienne, tandis que pendant la guerre elle est souvent réduite. D’ailleurs la courte durée des exercices soutient leur moral, et enfin on se repose tous les trois ou quatre jours. Bref, les manœuvres ne renseignent nullement sur la capacité de résistance des réservistes, et nous devons le reconnaître, cette résistance est des plus faibles quand on n’a pas eu le temps de les entraîner méthodiquement.

Avec l’organisation actuelle ou celle que propose la loi de deux ans, il faudrait donc s’attendre à commencer la guerre avec des troupes dont le moral sera facilement déprimé, et cela quelle que soit leur volonté de bien se battre.

En outre, il ne faut pas perdre de vue que les opérations de nuit vont devenir très fréquentes. Pour les mener à bien, une grande cohésion, un moral très élevé sont indispensables. Ces conditions n’existent que dans les troupes où tout le monde se connaît, et ce n’est pas le cas quand un régiment est plus que doublé par l’arrivée des réservistes. Il faut aussi se rappeler qu’un grand nombre d’entre eux habitent les villes. Parmi ceux-ci, combien ne sont jamais sortis dans la campagne pendant la nuit ? L’obscurité, l’isolement les troublent, souvent la peur les talonne. C’est là qu’il faut chercher l’origine de la plupart de ces soi-disant attaques de poudrières qui se répètent si régulièrement aux époques où les recrues prennent leur service de garde. Les magasins à poudre sont forcément éloignés des habitations. La sentinelle qui n’est pas encore habituée à l’obscurité devient vite inquiète. Elle écoute les sons étranges, et pour elle inconnus, qui s’entendent la nuit dans la campagne : branches qui cassent, frôlement d’un animal à travers le buisson, hululement du vent dans les troncs d’arbres, sifflement du vol des oiseaux migrateurs. Le buisson, vu tout à l’heure à quelque distance, semble avoir remué. L’objet d’abord inaperçu est remarqué. Un rayon de lune l’a frappé, il paraît se mouvoir. C’est quelqu’un ! La sentinelle crie : « Qui vive ! » s’affole et tire. Le poste accourt et le soldat jure qu’il a vu des rôdeurs, rampant