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l’expression des physionomies, ils savent ce qu’il lui reste d’énergie physique et morale, et ce qu’ils peuvent encore lui demander. La marche du soldat chargé exige une dépense de force considérable. C’est le travail le plus pénible de tous et dans lequel l’excès de fatigue se produit souvent soudainement. Nous savons d’autre part que l’organisme est plus éprouvé par le travail quand il est déjà fatigué. Les muscles se trouvent alors obligés, pour produire un nouveau travail, de faire appel aux forces en réserve, et le système nerveux doit, dans ces conditions, entrer en jeu plus activement. Alors la force musculaire s’affaiblissant rapidement accuse la sensation interne de la fatigue, la diminution de l’excitabilité se produit avec la lassitude, et l’affaissement du moral survient. Les officiers qui ont fait partie des colonnes d’opérations en Algérie savent que parfois des soldats se suicident, tellement la fatigue due à la marche leur devient insupportable. Dès lors, au moment de l’action, lorsque vont être imposés les mouvemens rapides, nécessités par le combat en tirailleurs ou par les bonds successifs auxquels sont obligées les troupes sous le feu, quelle énergie pourra-t-on attendre d’un soldat épuisé ? Cependant c’est sur le moral de ces foules de réservistes non entraînés qu’il va falloir compter.

En l’état actuel de notre armée, sous peine de désorganiser moralement et matériellement les régimens mobilisés, les généraux devraient, dans les premières semaines d’une campagne, régler leurs opérations sur la faible capacité de résistance de cette foule de réservistes, et se priver ainsi d’une des plus grandes forces de la guerre : la capacité de mouvement. Ils ne sauraient y songer. Comment prendre le temps d’entraîner peu à peu les régimens ? Les événemens sont plus forts que les volontés. L’opinion publique, tenue en éveil par la presse, ne manquerait pas d’exiger le remplacement immédiat du chef dont les opérations tiendraient compte de semblables considérations. On sera donc forcé d’appliquer à ces foules les procédés employés pour les troupes en temps de paix. Mais, dira-t-on, les manœuvres d’automne ne prouvent-elles pas que les réservistes supportent on ne peut mieux les fatigues de la vie de campagne ? Croire qu’il en serait de même en temps de guerre, est une dangereuse illusion. Pendant les manœuvres d’automne, les troupes sont loin d’éprouver les privations et les fatigues de la guerre. Les hommes ne sont pas chargés, ils n’ont ni cartouches