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s’agit pas ici d’un jugement que les faits ultérieurs pourraient démentir. L’hiver a imposé un armistice aux deux armées, et nous ne saurons que dans quelques semaines comment chacune l’aura utilisé. Mais enfin il n’y avait encore eu, ni d’un côté ni de l’autre, aucun de ces incidens décisifs qui marquent sur un point donné la fin de quelque chose, et c’est bien ce qui s’est produit à Port-Arthur. Pour la première fois dans l’histoire du monde, du moins depuis les grandes invasions qui ont précédé les temps modernes ou qui en ont accompagné les débuts, les Asiatiques ont remporté un avantage signalé sur les européens. Un général européen et la garnison qu’il commandait ont été obligés de se rendre, après des prodiges d’héroïsme qui font encore mieux ressortir la nécessité finale où ils se sont trouvés. Le général Stœssel a attaché son nom à ce grand événement, et ce nom y restera couvert de gloire comme celui d’un homme qui a fait tout son devoir. Mais qui sait si la chute de Port-Arthur, comme autrefois celle de Constantinople devant les Turcs, ne marque pas le commencement d’une ère nouvelle ?

Port-Arthur devait succomber, comme il arrive à toute ville assiégée par une armée suffisante pour l’investir, lorsqu’elle n’est pas secourue : la seule question était de savoir si le dénouement se produirait quelques jours plus tôt ou plus tard. Malheureusement il était impossible que la place tînt jusqu’au moment où, les opérations ayant recommencé en Mandchourie, les Russes y reprendront peut-être l’avantage. Quant à la flotte commandée par l’amiral Rodjestwenski, elle ne pouvait arriver en Extrême-Orient que beaucoup trop tard. Les défenseurs de Port-Arthur avaient épuisé toutes leurs ressources ; ils étaient tombés eux-mêmes dans un état d’épuisement complet. Les forces humaines ont des limites ; elles étaient atteintes. La capitulation était inévitable.

Il serait très téméraire de vouloir démêler et prédire l’avenir ; mais, pour le moment, la situation des Japonais à Port-Arthur est beaucoup plus forte que ne l’a jamais été celle des Russes. Ceux-ci, en effet, ont perdu, dès les premiers jours de la guerre, la maîtrise de la mer, qui a appartenu sans interruption jusqu’ici à leurs heureux adversaires. S’il en avait été autrement, Port-Arthur, ravitaillé par mer, aurait pu tenir indéfiniment : les Japonais, quel que soit leur courage, y auraient inutilement usé leurs forces. Mais ils ont réussi à bloquer la place, à l’isoler, à interrompre ses communications avec le reste du monde, ce qui la mettait à leur merci. Ils ont dû toutefois pour s’en emparer, non pas par un siège en règle, mais par des assauts