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chose, sous peine de perdre le prestige que lui avaient valu son audace propre et le déchaînement de fureur et de haine qui s’était produit autour de lui. Dans le cours de sa carrière politique, M. Doumer a montré à diverses reprises qu’il savait saisir les occasions, disparaître avec à-propos, revenir de même, et payer de sa personne toutes les fois qu’il le fallait. Où d’autres se réservent et s’abstiennent, lui se prodigue et combat, et cela lui a réussi jusqu’à présent. En un mot, il a cette chose si rare, de la volonté et du caractère, et il en use à ses risques et périls. Tout n’est pas faux, pourtant, dans les reproches que lui adressent ses adversaires, à savoir que son passé un peu équivoque, contradictoire et fuyant, n’inspire pleine confiance à personne ; en revanche et par un privilège particulier, son avenir en inspire à tant de monde que nous nous demandons comment il pourra réaliser des espérances aussi diverses. Mais nous ne cherchons pas, en ce moment, à tirer son horoscope : l’intelligence et l’explication du présent suffisent aux prétentions d’une chronique, et nous nous contentons de montrer comme sont aujourd’hui les choses et les hommes. Pour compléter la physionomie que les derniers incidens parlementaires lui ont faite, rappelons que M. Doumer s’est posé en adversaire déterminé de M. le ministre de la Marine, et qu’il l’a même dénoncé un jour à la tribune comme un « péril national. » Le mot, qui a eu un grand retentissement, n’a pourtant pas produit de suites immédiates, et on a même trouvé alors qu’il y avait eu dans cet avortement un peu de la faute de M. Doumer. Aujourd’hui tout est réparé. Si le gouvernement est atteint tout entier par la double élection de M. l’amiral Bienaimé et de M. Doumer, il y a un ministre sur lequel les coups ont particulièrement porté, et c’est M. Pelletan. Un corps, un organisme vivant quelconque peut être frappé à mort dans un seul de ses membres : M. Pelletan est le membre dans lequel le ministère a été mortellement blessé.

L’avant-veille de la réunion des Chambres, soit que la résolution n’en ait été définitivement prise qu’au dernier moment, soit que le secret en ait été bien gardé, on ignorait généralement que M. Doumer devait poser sa candidature à la présidence. Les journaux de tous les partis annonçaient que M. Brisson n’aurait pas de concurrent, et ceux de la majorité ministérielle triomphaient d’avance de cette abstention de l’opposition, où ils voyaient une preuve de son impuissance et de son découragement. M. Brisson, ajoutaient-ils, avait montré comme président des qualités professionnelles qui avaient désarmé contre lui les hostilités et rendu sa réélection certaine. Il est vrai