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se mettre en avant et de se découvrir, recevant des coups et les rendant, toujours sur la brèche, avec une volonté ardente et tenace que rien n’a pu décourager. Évidemment, la présidence de la commission du budget ne suffisait pas à son ambition et il n’entendait pas s’y cantonner : il s’en servait comme d’un marchepied pour atteindre plus haut. Son activité était infatigable, sa parole volontiers agressive, sa hardiesse sans cesse en mouvement. Il aurait été habile de la part du gouvernement et de ses amis d’avoir l’air de ne pas s’en apercevoir ; mais M. Combes, naturellement batailleur et brutal, n’était pas homme à se contenir devant des assauts qui se renouvelaient continuellement. Un instinct secret semblait l’avertir qu’il n’avait que du mal à attendre de M. Doumer, et, dans plus d’une circonstance, il avait affecté de le désigner comme son successeur éventuel. Criait le désigner en même temps, sinon à la confiance de l’opposition, au moins à ses laveurs. M. Combes ne s’en est pas tenu là. Blessé par les traits que M. Doumer ne lui ménageait pas, il est allé l’attaquer à son tour dans le département de l’Aisne, où il se faisait fort de le démolir aux élections prochaines. La lutte entre les deux hommes prenait donc de plus en plus le caractère d’un corps-à-corps qui devait fatalement être meurtrier pour l’un ou pour l’autre. Les amis du gouvernement, ou plutôt ses protecteurs de l’extrême gauche, y assistaient avec une inquiétude et bientôt avec une irritation croissantes.

M. Jaurès en particulier n’avait pas assez d’éloquence pour dénoncer et pour flétrir la grande trahison de M. Doumer, car c’est une trahison, comme on le sait, de ne pas s’incliner docilement devant le mot d’ordre du Bloc : quiconque a des idées personnelles et fait preuve de quelque indépendance est nécessairement un traître. À ce titre, M. Doumer l’était en effet plus que personne. On l’a injurié dans son passé ; on a essayé de l’effrayer ; on a fait gronder sur sa tête le tonnerre des prétendues colères démocratiques. Mais rien n’y a fait ; M. Doumer ne s’est pas laissé effrayer ; il a continué son opposition contre le ministère et y a même apporté un surcroît d’énergie. D’autres ont eu la même attitude, M. Millerand par exemple ; mais le souvenir de tant de campagnes soutenues autrefois en commun n’est pas encore tout à fait éteint parmi les socialistes ; ils ont eu malgré tout des ménagemens pour M. Millerand ; ils n’en ont eu aucun pour M. Doumer. L’attaquer ainsi était le grandir. Il lui a suffi de ne pas se laisser troubler pour attirer de plus en plus et pour retenir les yeux du pays. On se demandait ce qu’il ferait, et après être devenu l’espoir de plusieurs partis, il était bien obligé de faire quelque