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Paleotti. Mais tout cela se trouve bien excusé, si l’on se rappelle la dépravation générale des mœurs italiennes du temps. A Bologne, par exemple, en 1680, deux grandes dames se querellent et finissent puise battre, publiquement, à propos d’une partie de cartes. Les jeunes gens des meilleures familles se divertissent, la nuit, à insulter les femmes qu’ils voient passer en carrosse. Un mari comparait devant le Saint-Office pour avoir « quelques jours après ses noces, vendu sa femme à un tiers, par contrat en due forme. » Durant les trois années de la légation du cardinal Vidoni (1692-1695), des centaines d’homicides se produisent à Bologne. Et le cardinal-légal, quand on se plaint à lui de cet état de choses, répond simplement que « dans une cité aussi populeuse, il ne faut pas s’étonner qu’arrivent de pareils accidens. »

Des homicides, on ne voit pas que la marquise Christine en ait fait commettre. Longtemps, au contraire, elle a émerveillé Bologne par la réserve de su conduite ; et lorsque, plus tard, elle l’a scandalisée, c’est surtout par la hardiesse de ses propos comme de ses manières, par sa façon d’aller s’asseoir aux banquets officiels, par la trop libre allure de ces « conversations, » ouvertes à tous, dont elle a été la première à avoir l’idée. Ses aventures, à les regarder de près, attestent infiniment moins de corruption que de ce que les Anglais appellent « excentricité. » Et l’on songe, là-dessus, qu’elle-même était Anglaise, et l’on se demande si la surprise qu’elle a causée à ses contemporains ne viendrait pas, en somme, d’une différence de race, qui, s’exagérant avec l’âge, l’aurait de plus en plus portée à ne se point soucier des conventions admises autour d’elle, ou même à affecter expressément de les mépriser. En réalité, nous ne savons rien d’elle, je veux dire de sa vie intime, de ce qu’elle pensait et sentait, sous ses aventures. A-t-elle aimé le mal, ou, seulement, le plaisir ? A-t-elle été une ambitieuse, ou une intrigante, ou, peut-être, une « révoltée, » comme sembleraient l’indiquer quelques-unes des extravagances qu’on lui a le plus reprochées ? Devant la contradiction des documens que nous avons sur elle, nous sommes maîtres de choisir l’hypothèse qui nous plaît le mieux ; et la véritable personne de Christine de Northumberland reste pour nous un de ces « mystères historiques » dont je parlais l’autre jour, plus impénétrables que l’identité de l’Homme au Masque de Fer ou que l’origine de Gaspard Hauser.


En tout cas et de quelque nature qu’aient pu être ses fautes, la pauvre femme les a chèrement payées, au soir de sa vie. Non pas que