Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lèse-nation et la responsabilité des fonctionnaires, sur la théorie des peines et des récompenses légales, le renouvellement de la législature, la garde nationale, l’esprit public. Laclos surveillait la publication de la correspondance des sociétés affiliées de province, habilement triée et résumée par Feydel. Cette correspondance se composait presque entièrement de dénonciations nominatives et motivées contre les ministres, les prêtres réfractaires, les moines, les officiers royalistes, les municipalités suspectes. Un tel journal, écrit Michelet, était une véritable dictature de délation[1]. » Un moment, on envoya Laclos surveiller Luckner, et ce n’est pas sa faute si la partie ne fut pas perdue à Valmy. D’ailleurs bientôt devenu suspect, il fut incarcéré à la prison de Picpus. Il n’avait jamais été au premier rang parmi les acteurs de la Révolution ; ni comme orateur, ni comme journaliste, ni comme militaire il n’avait joué de rôle essentiel. Il n’avait servi ni un homme, ni une idée ; il obtenait, pour prix de son activité brouillonne, la prison avec menace de mort : il payait cher le moment d’ivresse qui l’avait abusé sur ses talens réels. Mais la prison eut sur lui un effet salutaire : elle le dégrisa. Désormais Laclos dit un adieu définitif à Valmont : il redevient le Laclos d’avant la gloire. C’est ainsi que nous le montrent les Lettres inédites qu’il nous reste à étudier, et dont il n’est pas une ligne qui ne soit un démenti donné par Laclos lui-même à son personnage d’emprunt.

Ce roué est le plus tendre, le plus fidèle, le plus amoureux, le plus reconnaissant des maris. Ce petit-maître est le père de famille le plus attentif, et le plus ému. « Je fais souvent cette remarque que jamais je ne rencontre un petit enfant suivant sa mère que je n’éprouve une assez forte et encore plus douce émotion. » Ses lettres sont toutes remplies de détails de ménage ; et à coup sûr rien n’est plus intéressant pour une bonne épouse dont le mari est en voyage, en expédition, ou même en prison ; mais aussi rien n’est plus bourgeois. Le sec auteur des Liaisons dangereuses apprécie par-dessus tout le sentiment. C’est par le sentiment que lui-même espère valoir quelque chose, et c’est la sensibilité qu’il prie Mme Laclos de développer surtout chez leur fille. « Le plus grand service que tu puisses lui rendre, à mon sens, c’est d’arroser sa jeune âme de ton expansive sensibilité. C’est par l’esprit qu’on brille, mais c’est par le sentiment qu’on aime et qu’on est aimée ; l’un ne procure qu’un peu de vaine gloire, l’autre nous rend susceptibles du seul véritable bonheur dont nous puissions jouir dans

  1. Emile Dard. Le général Laclos, 266.