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de vilaines histoires ; ce n’est pas moi qui leur en ferai reproche. Dès qu’apparaissait « ce grand homme jaune vêtu de noir, » on croyait voir le redoutable persécuteur de Mme de Tourvel. Une fois pour toutes il fut admis que Laclos était un personnage louche, inquiétant, chez qui de grandes facultés avaient été gâtées par de grands vices. Ce n’est pas seulement son ennemie intime Mme de Genlis qui parle de lui en ces termes, ce sont à peu près tous les contemporains. « C’était, dit Mme Roland, un homme plein d’esprit, que la nature avait fait pour les grandes combinaisons et dont les vices ont consacré toutes les facultés à l’intrigue. » Apparemment il ne méritait ni cette indignité, ni cet excès d’honneur. Mais le préjugé est si enraciné que je ne sais s’il n’a pas influé sur le dernier biographe lui-même de Laclos, et s’il ne circule pas à travers les pages de l’étude destinée à montrer combien Laclos différait de l’image « diabolique » que fît concevoir de lui son roman.

Si encore Laclos eût réagi contre cette fausse interprétation de son caractère ! Mais le moyen de rester indifférent à son propre succès ! Comment n’être pas influencé par une opinion qui a le prestige de l’unanimité ? On arrive toujours et plus ou moins à penser de soi ce qu’en pensent les gens. Laclos se prit tout de bon pour un roué. Il se crut les ressources d’un génie ténébreux : il s’était fait peur à lui-même. Désormais il se mit à rêver d’une carrière d’aventures ; et comme il était trop foncièrement honnête, et d’ailleurs un peu âgé, pour courir les aventures de l’amour, il se jeta dans celles de la politique. Il entra comme secrétaire des commandemens au Palais-Royal. « L’ambition de Laclos, dit Talleyrand, son esprit, sa mauvaise réputation, l’avaient fait regarder par M. le Duc d’Orléans comme un homme à toute main qu’il était bon d’avoir avec soi dans des circonstances orageuses. » Bientôt il va devenir l’âme du parti d’Orléans ; il sera l’inspirateur des pamphlets contre la Cour, l’initiateur des menées tortueuses, le distributeur des largesses du prince. Il accompagnera celui-ci à Londres. Mais, pour avoir imaginé les roueries d’un Valmont, on n’est pas nécessairement un subtil diplomate et un avisé conspirateur. Le résultat de cette habile politique sera d’avoir aidé le Duc d’Orléans à devenir un objet de mépris pour la France royaliste, un jouet pour la Révolution dont il sera bientôt la victime.

D’orléaniste, Laclos se fait révolutionnaire. Il paraît fréquemment à la tribune des Jacobins ; c’est lui qui publie le Journal des amis de la Constitution. « Sous sa direction Vasselin, Ducancel, Lépidor fils rédigeaient de lourds et pédantesques articles de doctrine sur les crimes