Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand Constable envoyait chez nous, au Salon de 1824, les trois tableaux qui devaient y faire sensation, plusieurs de nos artistes étaient déjà revenus à cette étude sincère de la nature qui faisait le mérite de ses paysages et la faveur même avec laquelle ils accueillaient son envoi suffisait à le prouver. Ce fut, en tout cas, pour eux un précieux encouragement à persévérer dans cette étude et à suivre les traces d’un tel maître, sans cependant chercher à l’imiter.

Constable n’a jamais prétendu au rôle de réformateur ; mais l’excellence de sa méthode ne pouvait manquer de porter ses fruits. Tandis que l’exemple de Turner autorisant toutes les fantaisies et toutes les aventures, même les moins picturales, substituait les hasards de l’exécution et l’emploi des procédés les plus audacieux à l’étude attentive de la nature, c’est sur cette étude exclusive que s’appuie Constable. Au lieu d’exploiter un talent acquis, au lieu de courir le monde en quête de motifs inédits et de fouiller la mythologie et l’histoire pour en tirer des sujets subtils, c’est son pays qui le retient et qui l’inspire, et dans ce pays même, l’humble et cher village où il est né, autour duquel s’est écoulée sa paisible existence. En revenant à ces coins familiers, mêlés de si près à sa propre vie, en multipliant les fidèles images qu’il nous en a laissées, il ne pensait pas en épuiser jamais les ressources pittoresques. Ils avaient toujours quelque confidence à lui faire, quelque beauté nouvelle à lui révéler. Pour nous les communiquer, il n’a pas épargné sa peine et il a mis tout son cœur. Ainsi qu’il se l’était proposé dès ses débuts, il est resté le peintre attitré de cette modeste contrée. Goûtant profondément lui-même les jouissances qu’un commerce si assidu lui avait méritées, il nous fait admirer l’aimable et forte poésie de son talent dans des œuvres qui, à raison de leur sincérité et de leur puissance expressive, sont assurées de vivre. Par surcroît, sans qu’il y visât, il a créé à nouveau ce genre du paysage intime qu’avant lui les Hollandais, Ruysdaël surtout, avaient découvert, et qu’après lui, par un même amour de la nature, par les mêmes recherches persévérantes et désintéressées, notre école moderne du paysage allait bientôt remettre en honneur.


EMILE MICHEL.