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tellement absorbé qu’un jour, en rentrant au logis, il trouva dans une de ses poches un mulot qui s’y était installé.

On pourrait croire que des œuvres inspirées par un amour si sincère de la nature recevraient du public le plus favorable accueil. Quand, en 1802, Constable exposa son premier paysage, il fut à peine remarqué. Ses compatriotes étaient trop habitués aux conventions, trop peu préparés à cet art si naïvement simple pour en bien goûter la forte el poétique rusticité. Loin de se rebuter, le peintre retournait à ses études et assuré qu’il était d’avoir trouvé la bonne voie, il ne cessait pas d’y persévérer. Il n’aurait jamais accepté l’idée de faire un sacrifice au goût régnant et d’imiter, pour plaire à ses contemporains, les maîtres en vogue à cette époque, Claude notamment, dont Turner leur offrait alors des pastiches très appréciés, tout en affichant l’ambition de le surpasser. C’est à la nature seule que Constable entendait demander ses inspirations. « Si je vais me promener avec le chapeau et les vêtemens de Claude, disait-il, cent personnes, qui n’y regardent pas de très près, me considéreront avec admiration ; mais deux ou trois vrais amis de Claude, en voyant ma prétention, hausseront les épaules. » Devançant à sa façon le propos d’Alfred de Musset :


Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre,


il pensait « qu’il valait mieux être le propriétaire de la plus humble maisonnette des champs que d’habiter un palais qui ne lui appartiendrait pas. »

Son ancien protecteur, sir George Beaumont, qui aurait souhaité pour lui des succès plus rapides, ne lui épargnait pas ses conseils. Tout imbu des traditions académiques et gardant encore la superstition des harmonies à la mode chez les artistes comme chez les amateurs de son temps, sir George demandait un jour avec inquiétude au peintre, en le voyant travailler à un paysage qu’il était sur le point de terminer « où il comptait mettre son arbre brun ? » « Je ne sais, repartit Constable, je ne mets jamais de ces choses-là dans mes tableaux. » Une autre fois, comme Beaumont, toujours épris des colorations rousses, montrait au paysagiste un vieux violon, en lui prônant sa couleur comme celle qui domine dans la nature, Constable, au lieu de lui répondre, se contenta de prendre le violon et de le placer dans l’herbe très franchement verte d’une pelouse attenant à son habitation.