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ces flirts que l’on avoue à peine devant les personnes vraiment huppées de la clientèle.


25 juillet. — Les papillons du sentier de Mme O-Tsuru-San n’étaient encore que de vulgaires insectes, comparés à celui qui paradait ce soir au-dessus du jardinet de ma belle-mère.

Dans le demi-jour habituel de la maison, nous prenions le thé de quatre heures, assis sur les nattes blanches, à même le plancher, agitant négligemment des éventails, tant pour nous rafraîchir que pour intimider quelques moustiques indiscrets. Mme Prune, — car elle était là, s’étant remise à fréquenter assidûment chez Mme Renoncule depuis mon retour dans le pays, — Mme Prune, si sujette aux vapeurs pendant la période caniculaire, écartait d’une main les bords de son corsage afin de s’éventer l’estomac, et faisait ainsi pénétrer dans son intimité d’heureux petits souffles fripons, que toutefois la ceinture serrée à la taille empêchait pudiquement de se risquer trop bas. Trois de mes jeunes neveux, enfans de cinq ou six ans, étaient assis avec nous, bien sages et luttant contre le sommeil.

Nous regardions tous, comme toujours, l’éternel paysage factice, qui est l’orgueil du logis, les arbres nains, les montagnes naines, se mirant dans la petite rivière momifiée, aux surfaces ternies de poussière. Un rayon de soleil passait au-dessus de ces choses nostalgiques, sans les atteindre, une traînée lumineuse qui n’effleurait même pas la cime des rocailles verdies de moisissure, des cèdres contrefaits aux airs de vieillard, et rien, dans ce site morbide, ne laissait prévoir la visite du papillon qui nous arriva tout à coup par-dessus le mur.

C’était un de ces êtres surprenans, que font éclore les végétations exotiques : des ailes découpées, extravagantes, trop larges, trop somptueuses pour le frêle corps impondérable qui avait peine à les maintenir. Cela volait gauchement et prétentieusement, jouet de la moindre brise qui d’aventure aurait soufflé ; cela restait, comme avec intention, dans le rayon de soleil, qui en faisait une petite chose éclatante et lumineuse, au-dessus de ce triste décor tout entier dans l’ombre morte. Et le voisinage de ce trompe-l’œil, qu’était un tel jardin de pygmée, donnait à ce papillon tant d’importance qu’il semblait bien plus grand que nature. Il resta longtemps, à papillonner pour nous, à faire le précieux et le joli, sans se poser nulle part. En d’autres