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que certaines formes très anciennes des vases de Chine furent inventées uniquement pour les lotus.

Fleurs de juin et de juillet, fleurs de plein été, ces grands calices roses épanouis sur tous les lacs japonais, Mme Chrysanthème jadis en mettait chaque matin dans notre chambre, et leur senteur, plus encore que la guitare triste de ma belle-mère, me rappelle le temps de mon ménage de poupée, — au premier, au-dessus de chez M. Sucre et Mme Prune.

Mais avions-nous autrefois, dans cette baie, une si énervante chaleur ? Je n’en ai pas souvenance, non plus que de ces accablans ciels d’orage. On étouffe entre ces montagnes. Nos pauvres matelots fatigués ne reprennent point leur mine, loin de là ; Nagasaki, en cette saison, est un mauvais séjour pour des anémiés de Chine qui doivent continuer de vivre, ici comme là-bas, dans une caisse en fer. Entre autres, on vient d’emporter à l’hôpital le fiancé breton qui m’avait confié la petite caisse de présens et la robe blanche. Quant à notre amiral, que le Japon avait miraculeusement remis lors de notre dernier voyage, voici qu’il nous inquiète de nouveau ; lui qui, à la fin de l’hiver, avait retrouvé son bon air de gaieté, — et ne manquait jamais, quand je rentrais à bord, de s’informer, sur différens tons impayablement graves, de la santé de Mme Prune, — on ne l’entend plus plaisanter ni rire ; les plis de lassitude et de souffrance ont reparu sur sa figure.


3 juillet. — Une déception de cœur m’attendait aujourd’hui au temple du Renard, chez Mme O-Tsuru-San, à qui je m’étais fait un devoir d’aller sans plus tarder offrir mes hommages d’arrivée.

Par un temps lourd, sous ces nuées basses emplies d’orage qui ne nous quittent plus, j’avais pris les sentiers de l’ombreuse montagne. Ils étaient tout changés, comme ceux qui mènent chez Inamoto, tout envahis d’herbes folles et de hautes fougères ; on y rencontrait de grands papillons singuliers, qui se posaient avec des airs prétentieux sur les plus hautes tiges, comme pour se faire voir ; on y respirait de l’humidité chaude, saturée de parfums de plantes ; sous la voûte des verdures étonnamment épaissies, tout semblait tiède et mouillé ; on se serait cru en pays tropical à la saison malsaine.

En arrivant là-haut, j’avais aperçu de loin Mme O-Tsuru-San