Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ruses d’Apache pour arriver sans être vu, — et cela encore est amusant. Elle a de plus en plus peur, la mousmé, peur que l’on nous observe, que son père la gronde, qu’on lui défende de venir. Quelquefois c’est un porteur d’eau, qui descend des sommets et nous gêne ; le lendemain c’est une vieille dame qui nous tient longuement en échec, étant occupée sans hâte à disposer des branches de verdure dans des tubes de bambou aux quatre coins d’une tombe, ou bien à brûler des baguettes d’encens pour ses ancêtres, ou simplement à regarder sous ses pieds le panorama des pagodes, de la ville et de la mer. Et je reste caché derrière quelque grand cèdre, apercevant, au-dessus du mur, des cheveux bien noirs qui dépassent les pierres, un front, et deux yeux au guet (jamais un bout de nez, jamais rien de plus) : ma petite amie qui s’est perchée là pour surveiller, elle aussi, la solution de l’incident, toujours prête à disparaître au moindre danger, comme un gentil personnage de guignol qui retomberait dans sa boîte.

Oui, c’est bien enfantin et ridicule, et pour que tout cela ait pu durer, il a fallu l’exotisme extrême, le charme de ce lieu unique et le charme d’Inamoto combinés ensemble.

Est-ce elle que je regretterai, ou sa montagne, ou encore le vieux mur gris, protecteur de nos rendez-vous ? Vraiment je ne sais plus, tant sa gentille personnalité est pour moi amalgamée aux ambiances.


26 mars. — Des nouvelles arrivées de Chine disent qu’à l’entrée du Peïho les glaces fondent ; donc ce sera d’un moment à l’autre, le départ, et nous comptons les jours de grâce qui nous restent, nous sentant plus japonisés que nous ne pensions, à l’heure de tout quitter.

Ma petite amie Pluie-d’Avril est venue aujourd’hui me faire visite à bord, accompagnée de la vieille dame qu’elle appelle grand’mère. Une visite tout à fait bon enfant et sans cérémonie ; elle avait pris un costume qui, pour elle, était plutôt simple, mais où tout de même de grandes fleurs aux nuances fantastiques s’étalaient sur fond ivoire.

A bord, les matelots la connaissent, et disent : « Voilà le petit chat qui arrive. »

Aujourd’hui, elle s’est intéressée à nos canons ; qui aurait cru cela, et où la préoccupation de la guerre va-t-elle se nicher ? —