Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup : « Messieurs, la garde nationale, c’est la providence des boutiques ! c’est en armant la canaille qu’on fait les révolutions ; c’est en armant la propriété qu’on les prévient. Quand vous voudrez faire une bonne loi, ayez toujours cela présent à l’esprit. »

Je me souviens également d’une séance où il était question de la noblesse qu’il avait créée. Il parla longuement : « En révolution, on ne détruit que ce qu’on remplace ; ce qu’on supprime sans le remplacer n’est pas détruit pour autant. En abolissant les titres et les privilèges, vous avez cru avoir fait beaucoup, et vous avez seulement grandi les noms historiques sans rien mettre à la place. Qu’importe à un Montmorency, un La Rochefoucauld d’être comte, duc ou marquis ? Leur nom leur suffit. Mais un titre leur donne un égal. Aussi, quand j’ai titré mes maréchaux ; quand je les ai anoblis du nom de leurs victoires ; quand j’ai récompensé tous les brillans services, toutes les illustrations ; quand j’ai donné aux grandes familles une noblesse nouvelle pour les attacher à ma personne sans leur rendre celle qu’elles avaient autrefois, afin de leur bien montrer que, sous moi, il n’y avait qu’une même source, qu’une seule origine ; quand, fidèle à l’égalité dont on est si fier en France, tandis que la liberté est une affaire de caprice, fidèle, dis-je, à l’égalité non qui abaisse mais qui élève, j’ai permis à chacun d’arriver à tout, de partout, sans pouvoir dire à celui qui vient derrière « Tu ne monteras pas plus haut ! » j’ai fait une chose populaire parce qu’elle consacrait l’égalité du départ : talent, courage et fortune décident du reste. »

Toutes ces séances, et bien d’autres restées dans ma mémoire, témoignent combien Napoléon avait la fibre du peuple, à quel point il connaissait la nation et quel parti il savait en tirer. Souvent il répétait qu’il avait une grande mission, celle d’opérer la transition entre le passé et l’avenir. « Je n’ai détrôné personne, disait-il, j’ai trouvé la couronne dans la boue et je lui ai rendu son éclat en la plaçant sur ma tête. » Il aimait à repasser par la pensée ses diverses destinées. « J’ai fait, nous disait-il un soir, la plus grande fortune que puisse mentionner l’histoire. Eh bien, pour laisser le trône à mes enfans, il faut que j’aie été le maître de toutes les capitales de l’Europe ! »

Je ne saurais rapporter tous ses mots, tous ses entretiens qui me reviennent par bouffées. Une fois, toujours au Conseil d’État, où l’on discutait des règlemens pour l’Université, il dit : « C’est