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Le plus grand bal donné à l’occasion du mariage fut celui de la Garde Impériale à l’École militaire. C’est le seul où l’Empereur nous ait fait porter le costume droit, avec la toque et l’écharpe, sans manteau, tout à fait dans le style de la chevalerie. J’étais du premier quadrille. Une salle immense, mais sans dégagemens, avait été construite à cet effet, et si le même accident eût éclaté qu’à la fête du prince de Schwarzenberg[1], nous eussions presque tous péri. Cette fête en effet fut bien funeste. Heureusement, c’était dans un jardin. De service, ce jour-là, auprès de l’Empereur, et désigné pour la première contredanse, je dansais avec la princesse de Tour et Taxis, sœur de la reine de Prusse, qui épousa dans la suite le prince Esterhazy. Il faisait très chaud. Un coup de vent, précurseur de l’orage, agita la flamme des bougies ; le feu prit à une légère tenture. Le grand Dumanoir, un de mes collègues, s’élança sur la banquette pour l’arracher, et il en vint à bout, mais un petit bandeau de soie qui masquait la jonction du plafond et du panneau continua de brûler. La flamme gagna le plafond peint à l’essence de térébenthine. Ce fut comme une traînée de poudre. Le feu, en un clin d’œil, envahit la salle.

Ma place était auprès de l’Empereur. Je fendis la foule pour le rejoindre. Je ne le trouvai point sur son estrade, mais, en montant sur son fauteuil, j’aperçus dans la presse son petit chapeau, dont il s’était coiffé pour se faire reconnaître. Il avait été prendre le bras de l’Impératrice et l’emmenai par la porte du jardin. Heureux de le savoir en sécurité, je pensai au salut de ceux qui m’entouraient. C’étaient, pour la plupart, des princesses étrangères que je parvins à faire sortir par la porte de sûreté qu’on mettait toujours derrière l’Empereur. La pauvre princesse de Layen, à la recherche de sa fille, voulut rentrer par une autre porte et périt[2]. Avec l’aide du colonel Jacqueminot et de M. Czernicheff, je relevai le prince Kourakine[3] à moitié brûlé dans son habit d’or et d’argent. Inutile de dire tous les sauvetages. Je restai très calme tant que je fus au milieu du danger, mais une fois dans le jardin, je partageai

  1. L’ambassadeur d’Autriche. — Il habitait dans l’ancien hôtel de Mme de Montesson.
  2. On la retrouva avec un profond sillon creusé autour de la tête par son diadème d’or que le feu avait rougi.
  3. L’ambassadeur de Russie.