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efforts de M. Hill avaient été vains au Congrès. Le siège de la majorité était fait. Mais les Etats-Unis sont une vraie république, et non pas comme la France une caricature de république : ils ont une Constitution garantissant les droits des citoyens. Lorsqu’il s’agit d’exécuter la loi, des contribuables résistèrent et traduisirent le fisc devant la Cour suprême, où ils soutinrent que la loi était illégale, comme l’avait soutenu M. Hill. Un premier arrêt, en date du 7 avril 1895, décida qu’une partie des dispositions de la loi étaient inconstitutionnelles.

Le gouvernement voulut s’obstiner et persister à poursuivre l’application de l’impôt sur le revenu. Un second procès le ramena devant la Cour suprême. Cette fois sa décision fut catégorique. Par un arrêt du 20 mai 1895, elle déclara formellement la loi entière inconstitutionnelle. Ce fut fait. La loi s’évanouit. L’esprit républicain avait définitivement vaincu l’esprit régressif et brisé l’institution fiscale des anciens âges. La grande République américaine a donc ainsi fixé le véritable principe de l’impôt dans les pays libres, tel que la Révolution française l’avait d’ailleurs proclamé en 1789. Tous les citoyens étant égaux devant la loi, l’impôt doit être égal pour tous. Pour être égal pour tous, il faut qu’il soit établi sur les choses et non sur les individus, c’est-à-dire qu’il soit réel et non personnel, ce qui exclut à la fois l’impôt sur le revenu et l’impôt progressif.


L’observation des faits dans les pays étrangers, non moins que l’histoire, non moins que la logique et la nature des choses, condamne donc absolument l’institution chez nous de l’impôt sur les revenus, et, a fortiori, de l’impôt général sur le revenu. En Angleterre, en Prusse, en Saxe, ce procédé fiscal est corrélatif soit à un état économique et social profondément aristocratique, soit à un état politique plus aristocratique encore, en contradiction irréductible avec les principes, les mœurs, les institutions d’une démocratie économique et politique essentiellement électorale et fondée sur le suffrage universel. S’il peut vivre, s’il peut fonctionner dans ces grands Etats, c’est précisément à cause de certaines conditions de milieu qu’on ne saurait ni trouver, ni établir dans une république comme la nôtre, — et s’il en fallait une preuve expérimentale et positive, les Etats-Unis, seule grande démocratie républicaine semblable à la nôtre, l’ont fournie. On ne saurait en effet établir sérieusement une