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rien. Qui aurait pu dire, la veille de sa chute, comment disparaîtrait le général André, si profondément oublié le lendemain ? Fata viam invenient : ce qui doit arriver arrive ; les voies seules en sont inconnues.

En attendant, et au milieu des préoccupations où elle s’agite, la Chambre n’a rien fait de sa session d’automne. Nous voilà revenus aux douzièmes provisoires. À qui la faute ? M. le président du Conseil, qui ne doute de rien, n’a pas mis en doute que la Chambre, dont il connaissait l’activité laborieuse, pourrait faire aboutir avant le 31 décembre la discussion du budget et celle de l’impôt sur le revenu : aussi lui a-t-il conseillé de les mettre ensemble à son ordre du jour et de les poursuivre en même temps. Il convient de dire que M. le ministre des Finances n’y était pas ; il était encore malade à ce moment ; et ce n’est pas une des moindres bizarreries du temps présent que cette mise à l’ordre du jour de deux discussions aussi importantes, ou même aussi graves, en l’absence du ministre qui devait les soutenir. Ce n’était pas, il est vrai, tout à fait à son insu. M. Rouvier s’est donné le plaisir, à l’une de ses dernières séances, de raconter à la Chambre que M. le président du Conseil lui avait fait part téléphoniquement de ses intentions et de ses espérances, et qu’il s’était efforcé de combattre les premières et de dissiper les secondes ; mais M. Combes lui a répondu que l’impôt sur le revenu ne tiendrait que très peu de jours l’affiche. Il en était sûr. L’Officiel constate que la Chambre a ri en écoutant cette anecdote. Elle était risible, en effet, mais en même temps peu rassurante. Quelle singulière méthode de travail que de mener de front, d’une part le budget, et de l’autre la plus profonde réforme fiscale que nous ayons abordée depuis un siècle ! Le résultat a été ce qu’il devait être : nous n’avons ni l’impôt sur le revenu, ce dont on peut se consoler aisément, ni le budget, ce qui est plus fâcheux. Tel est le bilan sur lequel l’année se termine : c’est une banqueroute morale et matérielle. La responsabilité en revient en grande partie à la Chambre elle-même, qui n’a pas su introduire de l’ordre dans ses travaux, mais encore plus au gouvernement qui, consciemment ou inconsciemment, y a introduit le désordre. Puisque la date où nous sommes nous y encourage, faisons des vœux pour que l’année prochaine soit mieux remplie ; mais ils ne se réaliseront certainement pas avec le ministère actuel. Ce ministère est usé et sa décomposition se communique au corps social tout entier. L’anarchie morale et le désarroi administratif s’introduisent partout. Tout le monde en a le sentiment, en souffre et en