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gouvernail rompit ensuite. Ce comble du malheur était le plus terrible de tous. Nous ne fûmes qu’une masse flottante, plus soutenue par rien, et sans moyens aucuns pour être dirigés. » Cette horrible tourmente dura toute la journée du 12 et toute la nuit suivante. Dans l’après-midi du 13, le vent devint plus maniable. Mais alors, ce fut un danger d’une autre nature. Un vaisseau anglais, la Renown, de cinquante canons, vint battre par la hanche le Languedoc, sans gouvernail et sans voiles, qui n’avait plus que six canons, bientôt même plus que cinq, capables de répondre. Les boulets anglais le balayaient d’un bout à l’autre ; entrés par l’arrière, ils traversaient les batteries dans toute leur longueur, et allaient se loger dans l’avant. Pour une raison inconnue, la Renown, après quelques volées, renonça à sa proie et disparut.

Sur le conseil d’un de ses officiers, d’Estaing prit le parti de mouiller. L’idée était heureuse ; le lendemain 14, au point du jour, on vit apparaître sept vaisseaux de l’escadre, et bientôt après deux encore. Pendant qu’on essayait, dans cette journée du 14, d’installer sur le Languedoc une mâture de fortune et de regréer les autres vaisseaux, qui avaient tous souffert, d’Estaing transporta son pavillon sur l’Hector. « Je cédai, dit-il, au désir de retrouver les Anglais. » Du moins, il put se saisir, le 15, d’une corvette de seize canons. Le 17, les réparations étaient à peu près terminées, comme on pouvait les faire en pleine mer, et toute l’escadre se trouvait réunie, à l’exception du César, dont on n’avait pas de nouvelles. D’Estaing, repassé sur le Languedoc, mais prêt, en cas de combat, à embarquer sur le Protecteur, fit lever le mouillage. S’il n’avait consulté que son besoin urgent de réparation et de repos, il aurait gagné la Delaware, qui était assez voisine, ou plutôt encore Boston, à cause des ressources de ce port. Mais il avait promis à Sullivan de revenir ; avant tout, il fallait « prouver aux nouveaux alliés de Sa Majesté que l’on savait tout sacrifier pour tenir ce qui avait été promis. » Le signal fut fait de marcher au nord. Le 20 août, après cette croisière de dix jours si accidentée, l’infatigable amiral mouillait de nouveau devant Rhode Island.

La situation à Newport était toujours la même. Sullivan s’était borné à élever contre la place des batteries, qui étaient inefficaces ; il avait besoin, disait-il, des Français pour donner l’escalade, et il demandait que l’escadre reprît sa position dans la