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désavantageux l’était réellement moins que notre mouillage. » Le mouvement s’effectue, par un vent assez faible ; pour montrer qu’il n’y a rien à craindre, d’Estaing ne fait passer le Languedoc que le cinquième. On échange quelques volées avec les batteries de Newport, et l’on passe. En mer, on est rejoint par le Protecteur, qui avait débouqué, de son côté, du chenal de l’Ouest. Toute l’escadre était réunie, à l’exception des trois frégates qui étaient restées dans le chenal de l’Est pour protéger Sullivan.

Howe ne s’attendait pas à cette manœuvre hardie, qui fut exécutée en deux heures à peine. A la sortie du quatrième vaisseau, il avait fait lever le mouillage. D’Estaing se mit aussitôt à sa poursuite, dans la même matinée, à onze heures et demie. Le vent était faible, Howe avait de l’avance, et nos vaisseaux, — on se le rappelle, — marchaient à des vitesses fort inégales. On chassa toute l’après-midi, puis toute la nuit. Les Anglais ne songeaient plus qu’à se dérober et à courir s’enfermer dans New-York. Dans la journée du 11, d’Estaing croyait toucher à la victoire. Ecoutons-le ; son rapport au ministre vaut par endroits les récits les plus dramatiques.

« Le vent ayant fraîchi, nous les approchions sensiblement. A une heure après midi, il n’existait plus de doute ; nous croyions être certains de les joindre. Les manœuvres du lord Howe, qui continuait à fuir vent arrière, mais serrant les distances, annonçaient qu’il ne se flattait plus lui-même d’éviter le combat. Le vent et la mer grossissaient… Notre avant-garde avait, à cinq heures trois quarts, prolongé l’arrière-garde anglaise ; en revenant au lof, elle était engagée. Le temps qui, depuis quatre heures, devenait plus mauvais et brumeux, manifesta le plus cruel des coups de vent. A six heures, je fus contraint de faire [mettre] et de mettre à la cape au petit foc et au foc d’artimon. Les deux escadres furent cachées l’une à l’autre, séparées, et l’espoir du plus beau des jours s’évanouit. » D’Estaing comptait reprendre la chasse le lendemain matin ; mais la nuit du 11 au 12 faillit être pour le Languedoc la nuit suprême.

« A trois heures et demie du matin, — pardonnez, monseigneur, cet excès de détail et de précision : l’homme à qui on coupe tout à la fois les deux bras et les deux jambes ne peut, dans sa triste narration, en omettre l’instant, — le mât de beaupré casse, puis le mât de misaine, puis le grand mât de hune, puis le mât d’artimon ; enfin, le grand mât tomba. Notre