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de motifs dans le monde qui ne se réunissent pour me faire désirer vos succès avec une ardeur impossible à exprimer. Ils sont bien importans dans ce moment pour plus d’une raison, et j’espère, monsieur le comte, voir bientôt justifier de nouveau les sentimens dont j’ai vu à Londres que messieurs les Anglais vous honorent. Puissiez-vous les battre, les couler à fond, les mettre aussi bas qu’ils ont été insolens ! Puissiez-vous commencer le grand œuvre de leur destruction, qui mettra leur nation sous les pieds de la nôtre ! Puissiez-vous leur prouver, à leurs dépens, ce que peut faire un Français et un Français auvergnat ! Puissiez-vous leur faire autant de mal qu’ils nous en souhaitent ! »

L’auteur de cette lettre vibrante était le jeune marquis de La Fayette.

D’Estaing reçut aussi une lettre très chaleureuse de Washington. « L’arrivée sur notre côte d’une flotte appartenant à Sa Majesté Très Chrétienne est un événement qui me rend extrêmement heureux. » Le général en chef le félicitait à l’avance de la victoire que tout le monde attendait, comme il se félicitait lui-même de l’affection qui allait l’unir à l’amiral.

Le moment semblait arrivé de porter aux Anglais le coup mortel. À cette heure même, Washington songeait à franchir l’Hudson en amont de New-York, à Kingsferry ; se réunissant sur la rive gauche à son lieutenant Gates, qui y était déjà avec 7 ou 8 000 hommes, il allait envelopper Clinton par derrière, tandis que d’Estaing attaquerait de face l’escadre de Howe.

Le plan était beau et bien combiné. Pour l’exécuter, il fallait que l’escadre française pénétrât dans la Baie Inférieure, la Lower Bay, qui forme la partie méridionale de la rade de New-York. Le 18 juillet seulement, de Choin annonça à d’Estaing l’arrivée de pilotes, entre autres d’un colonel de milice, « que l’on dit être très entendu dans la connaissance de la rivière ; » cet homme, qui se savait nécessaire et qui ne devait pas avoir un attachement bien ardent à la cause de l’indépendance, prenait son temps, il ne voulait pas aller autrement qu’en cabriolet. Le pilote le plus expérimenté du pays, celui qui, dans la guerre précédente, avait piloté les navires anglais, commença par refuser de se rendre à bord de nos vaisseaux : il avait la fièvre. Il fallut les supplications de La Fayette et des généraux américains pour couper son accès. On put encore trouver quelques capitaines marchands. De Choin n’avait que peu de confiance dans