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et, comme tout devient très vite en Angleterre affaire de vogue, on se précipite dans cette voie nouvelle.

J’ai rencontré, mêlée à un cercle fort distingué, certaine jeune femme d’aussi bonne famille qu’aucune des dames présentes, qui parlait sans aucun embarras de son magasin de curiosités. Elle court les ventes depuis peu, achète et revend des bibelots, se charge aussi de décorer les intérieurs. Gaiement elle se plaignait du mauvais goût de certains de ses cliens qui l’obligeaient à « faire des horreurs. » Là-dessus de vives protestations s’élevèrent. On l’engagea fort à refuser tout travail qui la discréditerait, à imposer ses idées aux gens moins renseignés qu’elle-même sur ce qui doit se faire. Il fallait leur insinuer doucement qu’ils n’avaient que de l’argent, tandis que la décoratrice possédait l’expérience qui s’acquiert dans la meilleure compagnie. C’est ainsi en effet qu’a réussi certaine couturière, d’élégante origine, qui par ce prestige attire chez elle la foule des provinciales et des bourgeoises riches. En regardant évoluer dans une espèce de théâtre des mannequins bien choisis, les acheteuses se laissent séduire par telles toilettes qui, transportées sur leurs épaules, subissent la métamorphose légendaire des diamans en cailloux. Mais elles sont seules à ne pas le savoir, et la clientèle augmente toujours, le plaisir de vanité qu’éprouvent des roturières à commander chez une grande dame et à la payer y contribuant peut-être.

Encore celle-ci est-elle devenue commerçante une bonne fois, ce qui l’a nécessairement retranchée du monde des oisifs, mais pour la plupart les affaires sont un marchepied. Dans tout pays où la dot ne s’impose pas, il y a autant de chances d’être remarquée derrière un comptoir que dans un salon. Les plus jolies le savent. J’en pourrais citer une qui, faute du talent et des fonds nécessaires, se mit simplement à vendre du thé. Elle eut aussitôt beaucoup d’admirateurs et fit un assez brillant mariage. Le péril, c’est que certains maris décavés ne comptent un peu trop sur le succès de la modiste ou de la couturière. Mais, en insistant sur ce point, nous retomberions dans la grave discussion du travail des femmes avec ses avantages et ses inconvéniens, et on ne doit chercher ici que des notes à bâtons rompus.


TH. BENTZON.