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inspirations. La belle vue du parc y entre pour donner un riant accompagnement à de graves rêveries. Il semble se dérouler jusqu’au sommet des collines qui ferment l’horizon, Ash Ridge, la chaîne des frênes, — boisée en effet, jusqu’au sommet. Seul, un fossé invisible sépare les pelouses des herbages qui continuent le tapis vert bien au-delà de la terrasse à balustres. Ces prés, ces bois forment le terrain communal ; un monument le couronne, en l’honneur de lord Bayswater, créateur des canaux qui arrosent et fertilisent le pays. Le matin, de grandes ombres sont projetées par les arbres dispersés, chênes magnifiques, pins d’essences diverses dont les branches pendantes balayent le gazon ; et les vaches en pâture dessinent çà et là des groupes qu’eût signés Paul Potter. C’est une fraîcheur, une paix qui repose et qui ravit. Je n’oublierai jamais l’accueil amical et doux de cette belle campagne, sans grands accidens, mais d’une grâce exquise, le jour où je m’éveillai devant elle. Je descends dans l’air parfumé du matin, je me dirige vers l’allée de tilleuls qui en un siècle et demi ont atteint une hauteur peu commune chez nous. Il est vrai que les arbres séculaires ne sont jamais très nombreux dans les pays à révolutions, et puis le climat humide favorise en Angleterre leur vieillesse toujours respectée. Les branches de ces tilleuls, enlacées si près du ciel en un long berceau, ont l’air de s’entredire : — Nous n’avons rien à craindre, défendus que nous sommes contre tout ce qui amène et précipite la chute des arbres, condamnés si souvent à faire place aux champs de blé.

Dans un demi-jour verdâtre, je me promène à pied sec, quoiqu’il ait plu la veille. Le sol est d’asphalte, c’est là une promenade d’hiver aussi bien que d’été. De même au potager voisin : des allées de brique alternent avec les allées de gazon. Selon le temps, vous foulez de préférence un tapis moelleux ou ce carrelage toujours propre. Un potager peut être, selon la manière dont on le dispose, l’endroit le plus vulgaire, ou le plus délicieux. Celui de Stocks est fermé par de belles grilles anciennes et séparé du parc par les vieux murs des espaliers. Espaliers de poires, car les fruits du Nord sont seuls cultivés en plein vent ; mais on cueille dans les serres des pêches qui pourraient venir de Montreuil, tant leur beauté est savoureuse. Je suis le chemin velouté qui se déroule entre les plates-bandes de fleurs, derrière lesquelles des deux côtés poussent les légumes. Fleurs