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J’espère que votre voyage se sera continué heureusement. Il est bien triste d’avoir été obligé de vous éloigner si loin. Il faut espérer qu’enfin vous serez tranquille du moins à Mitau. J’ai partagé bien vivement toutes les inquiétudes que vous avez dû souffrir ; mais en même temps, je ne peux assez admirer l’empereur de Russie ; il se distingue entre tous les souverains, et sa manière d’agir lui fait bien de l’honneur. Vous êtes trop bon, mon très cher oncle, de m’avoir encore écrit en chemin à Leipzick, cela m’a fait le plus grand plaisir, et je ne doute pas que votre voyage ne se soit continué aussi heureusement : du moins je fais bien des vœux pour cela. Je vous remercie des lettres de mon cousin. Il est impossible d’être plus attentif qu’il n’est et me fait toujours grand plaisir quand il me donne de vos nouvelles. Je me flatte cependant que, malgré l’éloignement de Mitau, je recevrai quelquefois de vos nouvelles, ce sera une de mes plus grandes consolations. »

Ainsi, au moment où de douloureuses circonstances les éloignaient encore davantage l’un de l’autre, le Roi et sa nièce ne doutaient plus des sentimens dont les témoignages remplissaient leurs lettres. À la faveur de la longue correspondance où ils avaient appris à se connaître, ils étaient étroitement unis. Ils l’étaient par la reconnaissance réciproque que leur inspirait la volonté visible chez chacun d’eux de remplir tout son devoir envers l’autre, lui son devoir de père et de roi, elle son devoir de fille de la maison de France ; ils l’étaient aussi par la communauté du malheur ; ils l’étaient enfin par l’affection qu’ils portaient à ce jeune Duc d’Angoulême, objet des espérances de la monarchie et à qui, pour cette cause, Madame Royale s’était promise volontairement, sans même se demander si son cœur, qu’un passé tragique avait pour toujours assombri, pourrait jamais s’ouvrir à l’amour.


ERNEST DAUDET.