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peine affreuse à penser. Il est vrai que cela vaut mieux que de mourir de faim, mais c’est une triste existence que celle-là. Je ne veux plus parler de tout cela, cela m’afflige trop, et je suis persuadée du chagrin que vous en ressentez aussi. »

Ces témoignages de la pitié de sa nièce vont au cœur du Roi ; la sienne s’excite au spectacle du sincère chagrin qu’inspire à Madame Thérèse le sort de ces pauvres exilés et il s’attache à lui prouver que celui qu’elle a subi fut encore plus cruel :

« L’effet que la visite de M. le duc d’Enghien vous a fait m’a touché jusqu’au fond du cœur. Je l’envie de vous avoir vue. Mais quand je songe que ce n’a été qu’un moment, j’en suis moins jaloux. Je paierais sans doute bien cher un pareil moment. Mais il ne me suffirait pas ; car ce n’est pas seulement vous parler de ma tendresse que je désire, c’est vous la prouver, en contribuant de tout mon pouvoir à vous rendre heureuse.

« Je ne suis pas moins touché des sentimens que l’armée de Condé excite en vous. Mais pensez que tous ceux qui la composent, sont soutenus par l’honneur, et qu’avec un pareil appui, on peut tout braver. D’ailleurs, leur sort en Pologne ne saurait être comparé au vôtre pendant cette cruelle captivité. La plus grande difficulté qu’ils éprouveront pour avoir des nouvelles de ce qui leur est cher existait déjà en Allemagne : c’est celle de franchir la frontière. Cet obstacle une fois levé, il n’y a plus que des retards, au lieu que vous, dans l’horrible séjour que vous avez habité plus de trois ans, une porte vous séparait de tout, et vous sentiez que c’était une barrière insurmontable. Je ne veux pas ramener plus longtemps votre imagination sur les maux que vous avez soufferts : mais soyez sûre qu’ils vous rendent plus chère à mon cœur. »

Quatre jours plus tard et, comme pour lui prouver que ce ne sont point là de vaines paroles, le Roi envoie à sa nièce un souvenir qu’il lui promettait depuis longtemps et qu’il avait été empêché de lui faire passer.

« J’ai enfin trouvé, ma chère enfant, l’occasion que j’attendais depuis si longtemps pour vous transmettre le précieux dépôt dont je me suis chargé pour vous. J’espère que vous serez contente de la ressemblance, quoique votre malheureuse mère fût bien plus jeune, lorsque cette pierre a été gravée, que lorsque vous avez pu la connaître. Celle qui vous en fait l’hommage, et dont je n’ai pas voulu confier le nom à la poste, parce qu’elle