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en quelque chose de plus joli encore, de plus compliqué surtout, ajoutant des rocailles aux rochers, créant des petits ruisseaux pour y jeter des ponts. Les herbes très délicates, les mousses, toute l’exquise flore sauvage d’ici, apportent leur charme intime k ces arrangemens qui ne seraient guère que prétentieux chez nous. Par ailleurs, ce temple, ces objets symboliques, déroutans de simplicité bizarre, que l’on aperçoit au fond sur l’autel, imprègnent le jardin désert d’on ne sait quelle transcendante et indicible japonerie. Et, au-dessus de tout cela, se dresse la montagne avec ses fourrés de verdure.

Juste en face du sanctuaire, une maison de thé, gentille et vieillote, se dissimule à moitié dans les arbres ; on y accède par un arceau en granit feutré de lichen, qui enjambe un torrent, et près duquel, dans une vaste cage, deux grues blanches à huppe rouge, de la grande espèce, se tiennent immobiles : pensionnaires sacrées du temple, il va sans dire, mais très mélancoliques captives.

La propriétaire de cette maison de thé, plutôt modeste et peu achalandée, s’appelle O-Tsuru-San. Bien que cette dame compte sans doute une dizaine de printemps de moins que Mme Prune, elle est d’une maturité incontestable, mais n’a point abdiqué encore, et j’arrive de jour en jour à me convaincre que le temps lui a laissé, à elle aussi, quelques attraits.

Sitôt qu’elle m’aperçoit, à l’orée du sentier vert, Mme O-Tsuru-San se prosterne et affecte une expression d’extase qui semble dire : « En croirai-je mes yeux ? Quelle faveur inespérée le ciel m’envoie ! » Je me fais un devoir de saluer fort civilement à mon tour, avant de prendre place sur les nattes blanches, devant la petite vérandah enguirlandée de plantes qui s’étiolent à l’ombre de tant d’arbres, et où languissamment fleurissent quelques pâles roses d’hiver.

Mme O-Tsuru-San, après de nouvelles révérences, me présente aussitôt la chatte de la maison, que j’honore de mon amitié, une certaine Mlle Sato, jeune personne de six mois, à fourrure grise, qui a conservé l’humeur folâtre de l’enfance. Ensuite, vient ma tasse de thé, sucrée toujours à point. Et puis les bonbons que j’aime, et deux fines baguettes de bois pour les saisir. A part quelques pèlerins, qui viennent se restaurer ici, après des génuflexions, des exercices religieux trop prolongés dans le temple, je suis presque toujours le seul client de cette dame, ce qui