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branchettes de saule, ornées déjà de ces petites pendeloques jaunâtres qui sont des floraisons d’extrême renouveau. Notre séjour indéterminé dans ce pays se prolonge de semaine en semaine, et nous Unirons par y voir poindre le printemps.

Dans sa vieille rue toujours en pénombre, qui longe le flanc de la montagne et les soubassemens des temples, cette boutique de Mme l’Ourse est un point où je m’arrête chaque jour, avant d’aller m’isoler là-haut, dans les bosquets des morts. Nous sommes du reste un peu en galanterie, Mme l’Ourse et moi : c’était fatal.

Sa maisonnette de bois est noirâtre, caduque comme la rue tout entière, moisie à l’ombre de ces terrasses moussues qui soutiennent les pagodes et la nécropole. A la devanture, sont accrochés quantité de tubes en bambou remplis d’eau, où trempent des fleurs, des feuillages, des fougères, des herbes. — Les Japonais, même du bas peuple, chacun sait cela, nous ont devancés de plusieurs siècles dans le raffinement des bouquets, dans l’art de composer, avec les plantes les plus vulgaires, des gerbes d’une grâce inimitable, dignes de leurs vases aux mille formes.

Avec Mme l’Ourse, — qui est dans les âges de Mme Prune, autant dire à l’époque de la vie où les femmes sont le plus aimables, — le prix des fleurs se débat toujours longuement, pour le seul plaisir de marchander, en se faisant un doigt de cour. Cela s’entremêle de madrigaux que je lui adresse sur sa personne et qu’elle sait me rendre avec une civilité parfaite ; d’autres dames du voisinage sortent alors des petits logis vermoulus et sombres pour assister au galant tournoi : c’est Mme Montagne-Peinte, marchande de bric-à-brac au coin de la rue, ou Mme le Nuage qui vend des baguettes d’encens pour les Trépassés, ou encore Mme Tubéreuse, dont l’époux, au fond d’un hangar poussiéreux, redore les bouddhas centenaires et répare les autels d’ancêtres.

Lorsque ma gerbe est enfin choisie et payée, je la laisse en dépôt chez la marchande (prétexte à revenir), et je commence mon ascension à peu près quotidienne à la sainte montagne qui surplombe.

Quantité de chemins s’offrent à moi, tout le long de cette rue vénérable, où il fait plus froid qu’ailleurs, faute de soleil. Tantôt je m’en vais par les étroits raidillons qui grimpent au milieu