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dix-neuf ans, l’étonnement le dispute à l’admiration. Jamais le cachet de la grandeur morale n’a été plus nettement marqué sur un aussi jeune front. Cette figure idéale plane sur la France, et s’il est vrai de dire que son siècle, ni même les siècles qui ont suivi ne l’ont pas toujours comprise, c’est l’honneur du nôtre, qui se vante avec raison d’une intelligence de l’histoire supérieure à celle de ses devanciers, de lui avoir restitué le caractère à la fois original, noble et héroïque qui a été le sien. Manquer au respect qui lui est dû est une offense à l’âme nationale. Or il semble bien que ce soit ce qu’a fait M. Thalamas.

Il a employé le ton de la polémique, et de quelle polémique ! pour en parler à de tout jeunes gens. Un d’eux, l’auteur du devoir qui a donné naissance à l’incident, croyait à l’inspiration divine de Jeanne. Si M. Thalamas s’était borné à lui dire que ceux qui n’y croyaient pas n’en avaient pas moins d’admiration pour elle, personne n’aurait songé à le lui reprocher. Mais s’il a dit brutalement : — Je n’ai pas besoin de votre Dieu pour expliquer les faits qui s’expliquent tout seuls, — il a manqué à son devoir. M. Jaurès a soutenu à la Chambre que M. Thalamas n’avait pas nié l’existence de Dieu, et il a rappelé le mot si connu de Laplace sur le système du monde qu’il expliquait, lui aussi, sans faire intervenir Dieu créateur. « Je n’ai pas besoin, disait-il, de cette hypothèse. » Ce n’est pas là, d’après M. Jaurès, une négation formelle de la divinité. Cependant tout le monde a interprété la chose ainsi, et il n’est pas douteux que Laplace, tout le premier, ne l’entendait pas autrement. Si on a pu reprocher à la franc-maçonnerie d’employer, après les avoir perfectionnés, les pires procédés de ses adversaires, nous craignons pour M. Jaurès qu’il ne se soit exposé, moralement parlant, au même reproche. Il y a beaucoup de réserves mentales et de directions d’intention dans sa justification de M. Thalamas. Ces subtilités peuvent intéresser des casuistes et amuser des sophistes ; mais les enfans ont l’esprit beaucoup plus simple, et lorsqu’on leur aura démontré par de nombreux exemples, d’une manière méthodique et suivie, qu’on n’a besoin de Dieu pour rien expliquer, qui pourrait dire qu’on ne les aura pas acheminés doucement et sournoisement vers l’athéisme ? Et nous demandons si c’est là le rôle d’un professeur.

Un fait pareil n’aurait pas pu se passer dans l’Université d’autrefois, celle d’hier, et il n’en faudrait pas beaucoup du même genre pour réveiller contre celle d’aujourd’hui des soupçons et des accusations que la pratique de la liberté de l’enseignement avait relégués