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mot prononcé, M. Lafferre a essayé de le reprendre, mais en vain. — Le mot, a-t-il dit, excède ma pensée, — mais on ne l’a pas cru. Et, en effet, si les fiches du Grand-Orient sont exactes et véridiques, comment M. Lafferre pourrait-il porter sur l’armée un autre jugement ? La Chambre a éprouvé un vrai soulagement en entendant le nouveau ministre de la Guerre demander la parole pour protester. Nous ne savons pas ce que sera M. Berteaux comme ministre ; mais la première fois qu’il a ouvert la bouche en cette qualité, il a parlé en homme de gouvernement, en défenseur naturel de l’armée et en bon citoyen. Son langage a été aussi différent que possible de celui auquel M. le général André nous avait habitués : peut-on en faire un plus bel éloge ? Nous nous rappelons le dernier discours de M. le général André. Se sentant déjà submergé par le flot montant de la réprobation générale, le malheureux ministre a essayé de se disculper en accusant l’armée. — L’état d’esprit d’un grand nombre de nos officiers, a-t-il dit, était, quand j’ai pris le pouvoir, un danger pour la République. Le salut public exigeait l’emploi de moyens exceptionnels. La franc-maçonnerie ayant l’œil et la main partout, il était naturel et peut-être indispensable de recourir à ses lumières. — Telle a été la pitoyable plaidoirie de M. le général André : on comprend, sans excuser l’emportement auquel il a cédé, le sentiment qu’en a éprouvé l’infortuné M. Syveton. Écoutons maintenant M. Berteaux. Un mot résume son discours. « Ce corps d’officiers, a-t-il déclaré à son tour, a un mérite particulier puisque, pendant trente-trois années consécutives, nous n’avons pas eu, dans son ensemble, même aux époques les plus troublées, un reproche grave à lui adresser. » C’est ce que M. Ribot avait dit quelques jours auparavant. Il avait rappelé, lui aussi, les suggestions auxquelles nos officiers avaient été en butte, et auxquelles ils avaient toujours résisté. Certes, s’il y avait eu dans notre armée, comme il y en a eu dans d’autres, des généraux capables de céder aux mauvaises tentations de la politique, les occasions ne leur auraient pas manqué. Pas un d’eux, qu’on nous passe le mot, n’a bronché, et peut-être n’y a-t-il pas une autre armée au monde qui, dans des circonstances pareilles, eût donné un aussi ferme exemple de correction et de loyalisme.

Mais est-ce l’avis de M. Combes comme de M. Berteaux ? Cela dépend des momens. M. Combes, nous l’avons dit, ne peut pas rompre avec ses amis du Grand-Orient. Il louvoie, il se contredit, il parle un jour dans un sens, et le lendemain dans un autre. S’il édite jamais un second volume de ses discours politiques, sa pensée y apparaîtra