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fractions peuvent le faire triompher. Si vous en excluez une ou deux. où prendrez-vous l’appoint qui vous sera nécessaire ? Vous serez condamnés fatalement à le chercher dans la droite de cette assemblée. » Voilà le grand mot lâché : en dehors de M. Combes, il n’y a de politique possible qu’avec la droite. M. Combes semble un peu trop oublier vraiment, ou ignorer l’existence des républicains libéraux qui votent aujourd’hui contre lui, mais qui pourraient fort bien voter demain pour un autre. M. Ribot avait répondu par avance à son argumentation en lui disant : « Quant à vos dépouilles, je ne me baisserai pas pour les ramasser. Non ! je pense au mal que vous avez fait à mon pays et au devoir que nous avons de soutenir vos successeurs pour le réparer dans la mesure du possible. Je ne triompherai même pas de votre chute. Elle ne sera pas la revanche d’un parti : elle sera la revanche de la conscience publique ! »

M. Ribot a le droit de parler de la conscience publique, car, dans ces derniers jours, il en a été vraiment la voix éloquente et indignée. Il a dit la vérité à la Chambre ; il l’avait dite la veille à la réunion annuelle de la Fédération républicaine que préside M. Motte. La querelle ouverte en ce moment entre M. Combes et ses adversaires n’a pas un caractère politique dans le sens étroit de ce mot ; il ne s’agit pas de savoir si telle réforme radicale ou même socialiste sera ou ne sera pas faite, si tel principe triomphera ou succombera, mais si le gouvernement de la France sera ou ne sera pas un gouvernement d’honneur et de probité. Le discours de M. Ribot à la Fédération républicaine a eu pour objet principal d’apporter des preuves, hélas ! trop faciles à réunir, de la dégradation croissante de nos mœurs publiques. — Je ne m’effraie pas, a dit l’orateur en substance, de voir une politique succéder à une autre, et par exemple de voir la politique radicale succéder à la politique libérale et modérée. Cela est conforme au fonctionnement régulier et normal de nos institutions. Nous avons eu autrefois des gouvernemens radicaux que nous avons estimés en les combattant. Les hommes qui étaient à leur tête avaient un sentiment élevé de leur dignité propre et de celle qui convient au gouvernement d’un grand pays. Leurs idées n’étaient pas les nôtres ; mais, même dans leurs erreurs, elles étaient généreuses. Ils pratiquaient, pour les faire triompher, des procédés dignes d’elles et dignes d’eux : tout se passait au grand jour, ouvertement, loyalement, courtoisement. Les vainqueurs d’un jour étaient les vaincus du lendemain, et réciproquement, mais les uns et les autres se sentaient de la même race ; ils pouvaient toujours se tendre la