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su, par la province et par l’Europe, retrouver des tableaux authentiques de Nattier et reconstituer sa biographie comme aussi celle de quelques-uns des personnages qu’il a représentés. C’est d’ailleurs la première fois qu’un travail d’ensemble est consacré à Nattier et à son œuvre, si considérable et si dispersée qu’il n’a pas semblé possible d’établir une liste générale de ses peintures. M. de Nolhac a catalogué les œuvres gravées des meilleurs graveurs, les plus importantes, et notamment celles que de récentes études ont mises en valeur. L’intérêt historique ne suffit pas à recommander une telle collection. C’est un véritable enchantement des yeux, qui résiste à toute discussion technique parce que la grâce est la plus forte et qu’on ne se défend point contre les séductions de ce pinceau adroit et nonchalant, qui connaît toutes les habiletés d’un métier charmant. C’est encore une monographie précieuse pour les amateurs, en même temps qu’un document rare pour les artistes, et, afin de lui garder ce double caractère, les éditeurs de ce magnifique ouvrage ont dû apporter des soins tout particuliers à ces reproductions qui peuvent prétendre à donner l’idée des originaux et leur font le plus grand honneur.

A côté de Nattier, aucun autre peintre ne saurait mieux que La Tour[1] nous faire connaître l’âme de ses contemporaines et l’esprit de son temps. Entre la manière affectée de Nattier et le parti si franc de La Tour, la distance est considérable, la différence est profonde, aussi marquée qu’entre la vie des deux peintres, l’un, mari d’une femme belle, père de nombreux enfans, l’autre resté jusqu’à ses vieux jours sceptique et viveur. Ils n’eurent qu’un goût commun : l’argent ; mais pour le reste, quel contraste ! et pourtant l’un complète l’autre. Dans les ouvrages de La Tour, c’est la nature même qui apparaît à nos yeux. Vainement on chercherait une allégorie dans son œuvre. La précision de La Tour a une valeur de document. Il est, dans l’École française moderne, entre les plus puissans des analystes de la figure humaine.

De son vivant, l’ami de M. de la Popelinière et de Mme Geoffrin, de Jean-Jacques Rousseau, de la Clairon, de la Camargo, surtout de Mlle Fel, fut le peintre à la mode. A la suite de Nattier, il représenta le xviiie siècle amoureux et mondain, et qui n’a pas vu ses portraits et ses pastels ne saurait le pénétrer à fond. Dans le splendide album, édité par la maison Manzi, Joyant, on trouvera la série des tableaux ou pastels que La Tour légua, en 1788, à sa ville natale. M. Henry

  1. Manzi, Joyant et Cie.