Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contradictions que personne, dans son entourage, n’a pu s’empêcher d’en être étonné. Le fait est que son autobiographie écrite, malgré le caractère presque officiel de ce document, ne contient pas deux lignes qui ne se détruisent l’une l’autre. Gaspard y raconte qu’il a toujours vécu dans une obscurité complète, et que, cependant, son geôlier lui a appris à lire, qu’il a passé des années à jouer avec « des rubans bleus et rouges, » ou que, de sa fenêtre (toujours fermée d’épais volets noirs), il voyait « une pile de bois, et, par-dessus, la cime d’un arbre. » Et comment ne pas supposer qu’il se moque de nous quand il nous dit ensuite que jamais, jusqu’à seize ans, il n’a entendu un coup de tonnerre ? Il dit aussi que la vue de la lune, durant les premiers jours de son arrivée à Nuremberg, « produisait en lui une émotion d’horreur. » Mais le plus curieux est que, manifestement, il s’avise sans cesse, au cours de son récit, de se découvrir des ignorances ou des infirmités extravagantes dont, tout d’abord, ni lui-même ni les autres n’avaient aperçu aucune trace chez lui.

De l’avis unanime de ceux qui l’ont approché, les deux traits les plus constans de son caractère étaient un besoin maladif de mentir et un besoin, plus maladif encore, d’attirer sur soi, à tout prix et par tous les moyens, l’attention publique. Le maître d’école Daumer, qui l’avait eu longtemps dans sa maison, déclarait que « le mensonge et le désir de tromper étaient devenus pour lui une seconde nature. » Son dernier maître, le docteur Meyer, avait été si dégoûté de ses mensonges, que, bientôt, il avait cessé de l’interroger sur quoi que ce fût. Lord Stanhope, après s’être d’abord passionnément intéressé à lui, avait fini par se convaincre qu’il n’y avait pas, dans tous ses récits, un seul mot de vrai. Et telle est aussi la conviction qui résulte aujourd’hui, pour nous, de l’ensemble des faits rapportés par M. Andrew Lang. La prison aux volets fermés, le geôlier qui, pendant quinze ans, n’a jamais adressé la parole à l’enfant, et qui, d’autre part, lui a « toujours commandé ce qu’il avait à faire, » l’incapacité de marcher, l’ignorance de la lumière du jour et du bruit de la foudre : tout cela est évidemment un tissu de fables inventées au hasard, avec un mélange grossier d’absurdités et de contradictions, par le cerveau déséquilibré d’un jeune paysan hystérique dont l’unique pensée paraît avoir été, jusqu’au bout, de se rendre intéressant et de faire parler de soi. Les lettres mêmes qu’on a trouvées sur lui, c’est probablement lui seul qui les aura écrites : elles étaient, on l’a vu, écrites en caractères différens, et l’une d’elles disait que l’écriture de Gaspard était « tout à fait pareille » à celle de son mystérieux gardien et professeur.