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description qu’elle fît de la chambre, du chemin suivi par elle dans sa fuite, et des personnes diverses à qui elle avait eu affaire durant son inexplicable séquestration, permit aux autorités locales de mettre la main sur une vieille femme de très mauvaise renommée, la bohémienne Mary Squires, qui, ayant été reconnue par Elisabeth Canning, fut condamnée à mort par le jury d’Old Bailey, le 26 février 1753. Mais le fils de la bohémienne, avec l’aide d’un homme de loi, entreprit de prouver que sa mère était innocente ; des témoins vinrent affirmer que, la nuit du 1er janvier, ils avaient vu Mary Squires dans un village du comté de Dorset ; et, bien que l’alibi invoqué fût loin d’être probant, un nouveau jury, frappé surtout de l’invraisemblance et des contradictions du récit d’Elisabeth Canning, cassa le premier jugement, acquitta la bohémienne, et condamna la jeune fille à sept années de déportation, pour « parjure volontaire et homicide par faux serment. » Or c’était ce second verdict qui constituait proprement une « erreur judiciaire, » et la pauvre Elisabeth Canning eut à subir une peine qu’elle ne méritait en aucune façon. Son innocence, éloquemment proclamée en son temps par Henry Fielding, l’auteur de Tom Jones, nous apparaît aujourd’hui avec une certitude absolue, après l’étude minutieuse que vient de faire M. Andrew Lang de toutes les pièces des deux procès. Non seulement l’alibi de la bohémienne est, sans aucun doute, de pure fantaisie ; mais M Lang nous fait voir en outre que les prétendues contradictions du récit d’Elisabeth Canning tiennent à ce que l’on a introduit après coup, dans ce récit, toute sorte de fables dont nulle trace n’existe dans les déclarations authentiques de la jeune fille. Pourquoi Mary Squires et ses complices ont cru devoir séquestrer Elisabeth Canning, c’est ce que, probablement, on ne saura jamais : le fait est, du moins, qu’ils l’ont séquestrée ; et qu’elle n’a dit que la vérité ; et que la justice anglaise a commis là une erreur manifeste, dans son louable désir d’en réparer une autre.

Mais ce n’est pas à la seule aventure d’Elisabeth Canning que peut s’appliquer l’observation, citée plus haut, de M. Andrew Lang. Des treize « mystères historiques » que nous présente, dans son livre, l’éminent écrivain anglais, la plupart sont universellement connus, tout au moins de nom : en réalité, nous ne connaissons d’eux rien de plus que leurs noms, ou bien encore nous nous les imaginons d’après des romans ou des mélodrames qu’ont bâtis sur eux des auteurs qui, eux-mêmes, apparemment, ont jugé tout à fait inutile de s’enquérir de leur véritable caractère historique. Si bien qu’il n’y a pas un des chapitres du livre de M. Lang, — sauf peut-être celui qui est consacré