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L’étreint pour tout un jour d’un vertige nouveau.
Oui, tout mon charme est là ; si je veux le dissoudre,
Je n’ai plus qu’à laver mes mains de cette poudre…


Simple question de mains lavées ou pas lavées ; secret de toilette plus ragoûtant en somme que les applications de viande crue recommandées par les Instituts de beauté, à l’effet de conserver la fraîcheur du teint.

Cependant, à la faveur d’un déguisement, deux étrangers ont pénétré dans le divan d’Armide. Ce sont Odoard et Gildis, qui viennent rechercher Renaud. Ils tombent, comme de parfaits gêneurs, en plein duo amoureux. L’instant est critique. D’un côté Armide propose à Renaud cette règle de vie séduisante, quoique formulée en termes un peu rauques : « Homme, aime uniquement ! » D’autre côté Gildis le rappelle au devoir. Gildis est touchante, Armide est belle. Pour échapper à la tentation, et ne pas manquer à son serment, Renaud se sauve. Il rejoint l’armée des croisés : ses compagnons d’armes le revoient, mais combien changé du Renaud qu’ils ont connu, et dans quel état ! En vain essaient-ils de faire appel à son ancienne bravoure, il leur déclare en douceur qu’ils peuvent aller à l’ennemi, au risque d’attraper de mauvais coups ; pour lui, il se consacre désormais à l’amour. Son passage parmi les jeunes beautés de Damas lui a laissé une impression ineffaçable : il est mort à tout ce qui n’est pas le chant des djariehs, la danse des damasquines, les parfums du divan, les visions du harem. Sur ces entrefaites, il apprend qu’Armide, pour l’avoir laissé échapper, vient d’être emprisonnée par son gouvernement à Jérusalem. Il y vole. Et voilà comment les croisés ont pris Jérusalem !

Tout cela est singulier. Mais certains détails de mise en scène, et certains propos concourent en outre à produire l’espèce d’affolement par lequel nous nous sentons peu à peu gagner. Car nous avions cru jusqu’ici que la croisade était une expédition entreprise au cri de : Dieu le veut ! sous l’emblème de la croix, pour reconquérir sur les Infidèles le tombeau du Christ. La croix ne brille ici sur aucune poitrine, et chaque fois que dans un vers le sens appelle le nom du Christ, on y substitue le « Dragon d’aventure. » C’est qu’Armide et Gildis est une œuvre d’enseignement, et destinée de façon toute spéciale à l’enseignement populaire. Donc M. de Sainte-Croix a laïcisé la croisade Grâce à lui, et la vérité prévalant enfin contre l’erreur, on saura que les croisés étaient de bons égalitaires, ennemis des conquêtes, enragés