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ne fallait pas dire précisément à celui qui ne devait pas l’entendre. C’est un fléau que cette femme-là ; et M. Capus n’a jamais mieux prouvé son optimisme qu’en faisant d’elle une providence. L’ironie de Briant père, la manie gaffeuse de Mme de Roine, cela ne constitue pas des caractères ; ce sont des tics ; mais ce sont, — pour le spectateur, — des tics amusans.

Puisque enfin M. Capus demande, et avec raison, qu’on juge sa pièce comme une pièce de théâtre, c’est-à-dire au point de vue du métier, nous sommes bien obligés de nous apercevoir qu’il a recours à des moyens scéniques un peu trop dépouillés d’artifice. Dès l’instant que nous savons la présence de Lucienne dans le voisinage, nous nous demandons comment Briant d’abord et Mme Briant ensuite vont en être informés. Tout simplement par les indiscrétions de Mme de Roine : la bonne dame n’est venue au monde que pour cela. C’est elle qui dit à Briant : « Vous avez une fille. » C’est elle qui dit à Mme Briant : « Votre mari a une fille naturelle. » Elle joue le rôle du chœur antique, ou celui du raisonneur. Elle y est doublée par son frère, M. Chartier. Il y a deux raisonneurs pour un, dans cette pièce d’hier. Cela fait qu’elle n’a pas une allure très vive. Le dialogue, en dépit de quelques jolis « mots, » n’a pas la nonchalance aisée qu’on goûte volontiers dans les pièces de M. Capus. Peut-être M. Capus était-il médiocrement en veine. Ou peut-être a-t-on été injuste pour sa pièce, en la tenant pour inférieure aux précédentes ; elle paraît seulement moins à son avantage sur une scène pour laquelle nous avons le droit d’être plus exigeans.

Tout le succès de l’interprétation est pour M. Leloir et Mme Pierson à qui sont échus les deux seuls bons rôles de la pièce. Perché sur ses longues jambes, et guindé sur son long col, M. Leloir, au long nez personnifie à merveille la hauteur dédaigneuse et comique de Briant père. Mme Pierson est admirable de bonhomie, de verdeur, de rondeur et de gaieté dans le rôle de Mme de Roine ; elle y a obtenu un des plus grands succès de sa carrière. Mme Bartet met tout son art à faire accepter le rôle si déconcertant de Mme Briant. M. de Féraudy, obligé de gémir et de se désespérer, quatre actes durant, ne se reconnaît plus lui-même et nous parait méconnaissable. Quant à M. Berr (Serquy), M. Duflos (de Clénor), Mlle Sorel (Mme de Bernac), Mlle Gériat (Lucienne), ils n’ont que des ombres de rôles.


Imaginez un opéra sans musique, sans décors, sans chœurs et sans ballet, et réduit aux seules beautés du livret. C’est le squelette sans la chair, l’armature sans la statue, le mannequin sans les costumes, la