Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Je ne crois plus que l’on voie faire beaucoup de miracles de nos jours.
Mais que jadis plantes et animaux aient parlé,
Cela ne fait pas l’ombre d’un doute : car si cela n’eût pas été,
Comment le raconterait-on ?
Le conte que j’ai en tête et que je vais vous raconter,
Je le tiens d’un vieillard que j’estime fort
Et qui me disait
Le tenir lui-même
De ses grands parens,
Lesquels prétendaient, à leur tour, l’avoir entendu raconter
Par un certain ancêtre qui n’existe plus…
Dans une vieille forêt — l’endroit précis nous importe fort peu —
Un paysan était allé un jour faire provision de bois pour sa maison.
Mais vous devez savoir — et je puis vous le prouver, à la rigueur —
Que dans ce temps-là la hache n’avait pas encore de queue.
C’est là le train du monde : le temps perfectionne
Tout ce que l’homme invente, tout ce que son esprit combine.
Notre paysan donc n’ayant que son fer à la main
Se mit à estropier de son mieux la vieille forêt.
Yeuses, platanes, chênes s’épouvantèrent fort :
— Mauvaise affaire, mes amis, préparons-nous à mourir !…
Au fond de son poêle, le paysan va nous enterrer bientôt.
— Y a-t-il quelqu’un des nôtres avec lui pour l’aider ?
Demanda un vieux chêne qui avait environ trois cents ans,
Et qui passait sa vieillesse un peu à l’écart.
— Non ! — Eh bien, soyez tranquilles ; cette fois-ci nous avons de la chance.
La hache et le paysan n’aboutiront à rien d’autre
Qu’à se fatiguer.
Le chêne eut raison :
Après beaucoup d’essais, d’efforts inutiles,
Le paysan retourna chez lui sans avoir rien apporté.
Mais lorsque, plus tard, la hache eut une forte queue en bois
Vous pouvez juger seuls de la grandeur du désastre !
Cette historiette — si toutefois elle est vraie ! —
Me paraît prouver jusqu’à l’évidence
Que dans chaque pays
La plupart des maux dont on se plaint ne viennent point du dehors,

Ne sont pas apportés par les étrangers ; mais ils sont presque tous produits
Par les habitans du pays même, par un parent à nous, par un de nos frères.


Le recueil de 1842 contient, outre les élégies et les fables, une Satire à mon esprit, trois épîtres et cinq épigrammes. La Satire à mon esprit pourrait bien être la IXe Satire ; mais elle s’adresse plutôt au tempérament qu’à l’esprit du poète ; c’est plutôt une satire sociale qu’une satire littéraire ; enfin elle attaque la société roumaine dans son ensemble, sans s’arrêter à des personnalités, comme celle de Boileau.