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Reconnaissons-lui aussi un troisième trait distinctif. Moins capable que son maître Lamartine de faire la synthèse de la vie, il se révélera en échange comme une âme plus maîtresse d’elle-même, ou, si l’on veut, plus pratique. Il cherchera sa consolation dans la vie, s’il ne lui vient pas à l’esprit de la chercher dans la mort. Il croira un instant la trouver dans l’amour… mais « l’amour nous quitte, disparaît… ; » il croira tout de suite après la trouver dans l’amitié, — « l’amitié, qui nous a été donnée comme suprême consolation dans nos heures de tristesse… » Il la cherchera partout dans la nature, mais surtout en lui-même, dans des efforts qu’il fera pour se vaincre :


Soufflez donc, frais zéphires, et toi, cher printemps…
Ramène dans mon âme l’espoir
Pareil à la fleur qui pousse dans les vallées que tu peuples de verdure. (L’Amitié.)


Outre les cinq élégies, l’Éliézer contient un nombre égal de fables. A côté de la note triste, la note gaie fait son apparition dans le volume d’essai de notre poète ; et la note impersonnelle, à côté de la note personnelle… Derrière Lamartine, on entrevoit la silhouette de La Fontaine.

Mais en vertu de quels charmes particuliers, Grégoire Alexandresco s’était-il senti attiré vers ce dernier auteur ? Que le lecteur français veuille bien nous pardonner de dire ici quelques mots des principales qualités du fabuliste, moins pour lui faire connaître La Fontaine que pour lui apprendre à connaître Alexandresco.

Il nous semble qu’on peut aimer La Fontaine pour l’une des cinq raisons suivantes : 1° Pour l’emploi merveilleux qu’il sait faire du « vers libre, » ce vers qu’il a presque inventé, et qui obéit moins aux règles établies de la prosodie et de la métrique qu’aux règles mêmes de la constitution de notre esprit, ce vers pittoresque et psychologique, qui tour à tour prend le pli des choses extérieures et suit toutes les ondulations de l’âme. — 2° Pour le côté vivant ou proprement artiste de son œuvre : il se complaît dans les détails, aime à s’arrêter en route, tandis que les autres fabulistes courent, au plus pressé, à la morale de la fin… — 3° Pour le bel équilibre qu’il sait établir, et qu’il ne perd pas de vue un seul instant, entre les êtres humains auxquels il fait constamment allusion et ses personnages allégoriques. On