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douleur, et aurait pu médire de l’existence, tout comme un autre, comme un Vigny, par exemple. Lisez la Foi, lisez le Désespoir. Le mal règne partout. Le bien aurait pu régner en sa place. Dieu ne l’a pas voulu. On pourrait même difficilement se figurer une existence plus détestable… Mais le poète s’est arrêté à temps : la Providence à l’homme est la contre-partie nécessaire du Désespoir. La raison humaine n’a point le droit de médire, elle qui ne sait pas rendre l’âme humaine plus heureuse que la foi dont elle discute les fondemens ; elle qui ne sait répondre à aucune des questions capitales que l’âme se pose… Heureux les pauvres d’esprit ! car l’esprit ne sert qu’à troubler et à égarer le cœur… L’homme trouve bien une réponse aux problèmes éternels, dans les instincts de son cœur ; il a beau chercher, il n’en trouve aucune dans son esprit :


Lui seul (l’enthousiasme) est mon flambeau dans cette nuit profonde
Et mieux que la raison il m’explique le monde…


Et puis, l’on n’a qu’à regarder autour de soi. L’homme n’est pas seul sur cette terre. Dieu est partout à côté de lui, dans l’univers, laissons le cœur lire dans la nature, cette médiatrice entre la Divinité et l’homme, cette inépuisable consolatrice de l’homme, aux beautés de laquelle l’homme ne saurait résister, cet hymne éternel à la gloire de Dieu…

Espérons donc ! Quand Dieu n’a rien oublié au monde, peut-il avoir oublié l’homme ? Le poète s’attache de toutes ses forces à cette pensée consolatrice. Son cœur ne voudra plus être que confiance illimitée, qu’espoir ! Il faut que Dieu soit, le poète le désire du fond de son cœur, il le veut… et impose son vouloir à toute la nature. Il tourne ses yeux vers l’image grandiose que lui a tracée son cœur, et semble l’implorer d’une voix douloureusement touchante : « Existe ! » — « Existe, et souviens-toi de l’âme humaine !… »

Cette philosophie si conséquente, si énergique, si douce, nous rend compte des principaux traits de la physionomie de Lamartine. Elle explique d’abord son orgueil. Le même poète, qui se croit « un atome » ou « un insecte » devant Dieu, se sent démesurément grand en face de toutes les forces inertes qui l’entourent, en face de tous les rochers, de tous les vallons, de toutes les montagnes… Il songe d’ailleurs à son véritable séjour, le