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Reste à savoir si ce précieux dépôt n’a pas péri avec celui qui en était chargé. J’aime à me flatter que non. Quoique le reste de la lettre prouve qu’il ne s’attendait pas au sort qui lui était réservé, il ne pouvait se dissimuler les dangers qu’il courait, et puisqu’il a pu sortir de Paris et aller habiter chez lui, nous pouvons espérer aussi qu’il a pu mettre son dépôt en sûreté. Je dois dire cependant que je n’en ai eu depuis aucune autre connaissance. Mais cela ne m’effraye pas beaucoup. De sa famille, tout ce qui habitait la France, et avait alors l’âge de raison, a péri avec lui. Ainsi personne n’a rien pu dire ; mais il avait sûrement d’autres confidens dans la classe subalterne, et c’est sur eux que je compte pour tout retrouver un jour.

« Quant à l’abbé Edgeworth, il ne fut pas d’abord persécuté ; mais environ six mois après, une lettre qu’il écrivit à M. l’Archevêque de Paris ayant été interceptée, il se vit obligé de quitter Paris. Il se réfugia en Normandie chez un gentilhomme de ses amis. Là, il a vécu près de trois ans, ignoré et tranquille, jusqu’au moment où, grâces à Dieu, il s’est déterminé à passer en Angleterre, ce qu’il a exécuté sans aucune difficulté.

« Après ces choses si douloureuses et si intéressantes, comment vous parler de la joie que votre lettre m’a causée ? J’en ai pourtant besoin, car mon cœur a peine à la contenir. Je vous avouerai que je commençais à trouver qu’il y avait bien longtemps que je n’avais eu de vos nouvelles : mais j’en ai été bien dédommagé en lisant que vous enviez mon neveu d’être auprès de moi, et que vous désirez y être bientôt. Il est certain que vous ne pourriez être nulle part où vous fussiez plus tendrement aimée, et pour ma part, ma cabane serait un palais, si mes enfans y étaient réunis autour de moi. Espérons toujours que ce moment n’est pas éloigné ; mais en l’attendant, écrivez-moi souvent sur le même ton ; je suis bien sûr que c’est votre cœur qui dicte ces expressions qui causent au mien la plus sensible des consolations. »

Le dernier paragraphe de cette lettre nous apprend qu’au moment où elle fut écrite, le Duc d’Angoulême était à Blanckenberg. Il y était arrivé le 27 avril. Son frère le Duc de Berry s’y trouvait depuis le 1er mars. Leur présence faisait heureusement diversion au violent déplaisir qu’avaient causé au Roi l’infidélité de son ministre, le duc de La Vauguyon, qu’il venait de renvoyer et l’arrestation de ses agens de Paris.