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d’en avoir déjà trop dit, et par ce que je souffre en écrivant, je juge de ce que vous souffrirez en me lisant. Lisez plutôt la Passion de Notre-Seigneur, et dites-vous bien qu’autant que la terre peut ressembler au ciel, votre père a retracé notre divin modèle. Il y a cependant un fait bien antérieur à sa mort que je savais longtemps avant d’avoir vu l’abbé Edgeworth, que vous savez peut-être aussi, mais que je ne saurais m’empêcher de vous redire ici. Vous savez quelle était sa sérénité dans sa prison. Mais, le 19 décembre, il se rappela que c’était le jour de votre naissance.

« — Aujourd’hui, dit-il, ma fille a quatorze ans. O ma pauvre fille ! »

« Et pour la première fois depuis qu’il n’était plus entouré que de ses bourreaux, des larmes vinrent mouiller ses paupières… Je ne vous le rendrai pas, je le sais : mais je n’y épargnerai rien. »

Lorsque le Roi écrivait ainsi à sa nièce, il avait déjà décidé que l’abbé Edgeworth ne le quitterait plus. Il le mandait à son grand aumônier, le cardinal de Montmorency :

« Mon cousin, vous êtes instruit du bonheur que j’ai de posséder depuis quelque temps auprès de moi M. l’abbé de Firmon. Il a des droits sacrés à la tendre vénération de tout bon Français ; combien n’en a-t-il pas à la mienne ! Mais ce n’est pas assez pour moi de rendre à ses vertus et à son généreux dévouement l’hommage qui leur est dû ; je ne fais que remplir un devoir. Il faut plus pour satisfaire mon âme. Celui qui a été le témoin de la mort de mon frère, et qui, sur l’échafaud, a proclamé son martyre, doit être mon soutien. Le courage religieux dont il pourra à chaque instant me retracer l’image, me donnera la force de soutenir les épreuves que Dieu m’envoie et d’imiter les vertus dont ma malheureuse famille m’a donné les si grands exemples. Il restera donc auprès de moi, et sa présence, ne pouvant augmenter le sentiment des cruelles pertes que j’ai faites, mêlera à ce douloureux souvenir le seul adoucissement dont il est susceptible. Je n’ai plus qu’à donner à cet arrangement la forme convenable, et je vous connais trop pour n’être pas sûr du plaisir que je vous fais, en vous disant de prendre mes ordres pour donner à M. l’abbé de Firmon la place d’un de mes aumôniers. »

Entre temps, on recevait à Blanckenberg de nouvelles