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pour des affaires qui l’exigent. Mais il est de mon âge et de mon caractère d’être simple et exacte comme la vérité. J’espère, mon très cher oncle, que vous me pardonnerez cette petite résistance en faveur des raisons qui la motivent. »

Quoi que le Roi eût pensé de cette réponse et de la leçon qu’elle contenait, elle mettait trop en relief la loyauté de sa nièce pour qu’il pût lui en garder rancune. La crainte de lui déplaire en insistant le fit même hésiter sur la conduite qu’il devait tenir. Un billet de lui, transmis à d’Avaray par la cassette, nous dévoile ses perplexités : « Avant d’écrire à ma nièce, j’ai relu sa lettre et je prie mon ami d’en faire autant. J’avoue que son refus d’écrire à l’abbé Edgeworth m’a paru beaucoup plus net qu’à la première lecture, si bien que j’hésite un peu à y insister. Je prie mon ami d’y réfléchir et de me dire son avis. » L’avis de d’Avaray fut conforme à la pensée du Roi, qui de nouveau exprima son désir. Mais la princesse maintint sa première décision. La publicité donnée à la lettre que son oncle avait écrite à l’abbé Edgeworth quand celui-ci était sorti de France lui faisait craindre que la sienne fût publiée aussi ; elle ne voulait pas se prêter à cette divulgation de ses sentimens intimes. « Je n’aimerais pas la publicité. Votre lettre a été dans les journaux. C’est juste ; elle était superbe. Mais, pour moi, je ne sais pas écrire aussi bien que vous. Aussi, je me refuserai le plaisir de lui écrire parce que je ne veux pas qu’elle soit publiée. » Le Roi se le tint pour dit. Il se contenta de manifester le regret que son conseil n’eût pas été suivi. « Le respectable abbé Edgeworth est ici, et j’aurais eu un bien grand plaisir à jouir du bonheur que votre lettre lui aurait fait éprouver. » — « Je vous prie de lui dire verbalement de ma part, répliqua la princesse, tous les sentimens dont mon cœur est rempli pour lui et que je m’estimerais heureuse de pouvoir les lui témoigner un jour de vive voix. »

Quelques jours après, le 1er mai, elle y revenait :

« J’envie bien le bonheur que vous avez de parler de mon père avec son respectable confesseur. Si j’osais vous prier de m’en parler aussi et de me raconter ce qu’il vous aura dit à ce sujet, ce serait une consolation pour moi de savoir encore des détails sur ses derniers momens. Il est impossible de l’aimer plus que je ne l’aimais ; il me témoignait aussi tant de tendresse que j’aurais été bien ingrate de ne pas chérir le meilleur de tous les pères. Sa mort a été une perte irréparable pour moi et toute ma