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auxquels il avait été mêlé depuis sa sortie de Paris. Ils lui valurent cette réponse singulièrement émouvante en sa simplicité et qui constitue un poignant tableau rétrospectif de la captivité de Madame Royale au Temple.

« J’ai reçu votre dernière lettre et j’ai lu avec grand intérêt les détails que vous me donnez sur votre position, durant ces trois malheureuses années. Je n’en avais rien su. Depuis le 10 d’août 1792 jusqu’au mois d’août 1795, je n’ai rien appris de ce qui concernait ma famille, ni de ce qui regardait les affaires politiques ; nous n’avons entendu que les injures dont on nous accablait. Vous n’avez pas d’idée de la dureté de notre prison ; les personnes qui n’ont pas tout vu de leurs propres yeux ne peuvent pas se le représenter. Moi-même qui en ai tant souffert j’ai presque de la peine à le croire. Ma mère ignorait l’existence de mon frère, qui logeait au-dessous d’elle. Ma tante et moi nous ignorions le transport de ma mère à la Conciergerie et ensuite sa mort. Je ne l’ai apprise qu’en 95. Ma tante me fut arrachée pour être conduite au supplice. En vain je demandai pourquoi on nous séparait. On ferma la porte et les verrous sans me répondre. Mon frère meurt dans la chambre au-dessous de moi ; on me le laisse de même ignorer. Enfin le juste supplice de Robespierre qui a fait tant de bruit dans le monde, je ne l’ai appris qu’un an après. J’ai entendu plusieurs fois sonner le tocsin, battre la générale, sans que mes gardiens me disent pourquoi. On ne peut pas se faire d’idée de la cruauté de ces gens-là. Il faut cependant convenir, mon cher oncle, qu’après la mort de ce monstre, mon frère et moi nous avons été mieux traités. On nous a donné le nécessaire, mais sans nous informer de ce qui se passait, et ce n’est qu’après la mort de mon frère que j’ai appris toutes les horreurs et cruautés qui s’étaient commises pendant ces trois années.

« Au mois d’août 1795, j’ai pu voir Mme de Tourzel, qui m’a informée que vous étiez à Vérone. J’ai appris par la femme qu’on m’avait donnée pour me servir la mort de mes vertueux et malheureux parens, et qu’on parlait de ma liberté. J’avoue que dans ce temps, j’avais commencé à perdre tout à fait l’espoir, et je craignais de passer toute ma vie enfermée. Etant demeurée seule dans ma chambre durant une année entière, j’avais eu le temps de faire mes réflexions et je ne soupçonnais que trop le sort de mes infortunés parens ; mais comme les malheureux aiment à