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étaient appelés à des destinées moins douloureuses et moins obscures. »

Ce n’est pas seulement parce que cette page témoigne une fois de plus de l’admiration enthousiaste de d’Avaray pour son maître et dresse devant nous un Louis XVIII aussi nouveau qu’inattendu, qu’elle méritait d’être citée ; c’est encore et surtout parce qu’elle met en lumière de façon saisissante la contradiction qui existait chez les émigrés entre l’ardent patriotisme dont elle nous donne une irréfragable preuve et l’espoir qu’ils fondaient sur le concours des armées étrangères. Il n’est pas douteux, à lire ce qui précède, que d’Avaray chérit sa patrie. Mais il confond le Roi dans le même amour ; il ne les conçoit pas séparés ; la patrie, à ses yeux, est là où est le Roi ; elle ne peut être que là, et tout est légitime dans les entreprises, quelles qu’elles soient, qui ont pour fin de le rétablir dans son autorité. Parmi les émigrés, il n’en est guère qui ne pensent pas ainsi et cette opinion, résultat de la naissance, de l’éducation, d’un long échange de services entre la noblesse et la royauté, permet d’expliquer, sinon de justifier les erreurs, les illusions, les folles intrigues qu’on rencontre à toutes les étapes de leur dramatique histoire.


III

Les journaux avaient fait connaître à Vienne l’arrivée de Louis XVIII au camp de Condé. En même temps qu’elle lisait ces récits, Madame Royale recevait de son oncle une lettre qui les lui confirmait et lui demandait de s’entremettre auprès de l’Empereur afin d’obtenir qu’il fût autorisé à rester à l’armée. C’était là une mission bien grave pour une jeune fille de dix-huit ans. Madame Royale ne la déclina pas. Mais, elle était tenue d’attendre, pour la remplir, que l’Empereur fût revenu de la campagne où il devait rester un mois encore. « Dans ce temps, les choses seront sûrement arrangées d’une manière stable à votre égard. Mais croyez, je vous prie, que je ferai toujours tout ce qui dépendra de moi pour vous servir. »

Du reste, s’associant sans enthousiasme aux espérances dont on s’était leurré au camp de Condé en y voyant apparaître le Roi, sa jeune et précoce raison non moins que le souvenir de ses infortunes contribuaient à la rendre défiante. Elle ne croyait pas à de prochains bonheurs. « J’avoue que nous avons été si souvent