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bien à Fornoue[1]. Mais, quoi qu’il advienne, il y a de l’honneur à gagner. »

Ainsi, toujours infatigable et toujours Français, il encourageait chacun par ses propos et son exemple. Il fit les mêmes marches et prit les mêmes logemens que ses compagnons d’armes, tant qu’ils furent en péril, c’est-à-dire jusqu’à la tête des débouchés qui heureusement se trouvèrent libres encore.

D’Avaray, qui nous a conservé ces souvenirs, en conclut que son maître, s’il eût embrassé la vie des camps, y aurait brillé.

« Ici, nous le vîmes chérir des travaux que pouvait payer quelque lustre. Doué d’une mémoire prodigieuse qui lui retrace les campagnes et faits militaires des plus habiles généraux, sa mémoire locale, la justesse et l’étendue de son coup d’œil, son calme imperturbable et des circonstances favorables en eussent fait un homme de guerre. Et qu’on ne m’oppose pas son embonpoint. La manière dont il traversa le Saint-Gothard et dans cette campagne même, pour ne citer qu’un exemple, la marche de Dillingen où, à travers les montagnes, il fut à cheval dix-huit heures sans débrider et toujours frais et dispos, tandis que nous étions tous sur les dents, répondent assez à de puériles et malveillantes objections. Il m’est donc permis de dire sans crainte d’être taxé de partialité : la guerre eût fait la gloire du Roi, la gloire de Louis XVIII eût rendu le bonheur à la France et la paix à l’Europe.

« Et quelle douce carrière que celle de la vie des camps, comparée à l’horrible et dégoûtant chaos où semble devoir se perdre la tombe de mon maître ! Quand je songe seulement à quelques-unes des journées de ces campagnes arides de 1792 et 1796 ; lorsque je me reporte à l’heure solennelle où, dans la première, nous abordâmes et nous franchîmes la limite française, au saint enthousiasme avec lequel, sous les yeux de mon maître, je clouai au premier arbre de la terre natale ces paroles gravées dans nos cœurs : Pour la liberté du Roi et le bonheur de tous ; lorsque je me rappelle, dans la seconde, ces élans d’ivresse prodigués au Roi, s’il paraissait subitement au milieu de ses gentilshommes pour réclamer sa part de fatigue, de dangers et d’honneur, mes yeux se remplissent de larmes et je m’écrie : — Louis et, le dirai-je, celui que la bonté du Roi honore du titre de son ami

  1. La retraite de Fornoue, opérée par Charles VIII en Italie en 1495.