Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasions de célébrer le courage et l’esprit d’à-propos de son prince. Mais, il y a justice à remarquer que ces occasions, celui-ci les lui fournit fréquemment durant son séjour au camp de Condé. Entre les diverses circonstances où il prouva qu’il possédait au plus haut degré des qualités véritablement françaises et qu’il n’était pas Bourbon pour rien, il en est une qui plus que toute autre lui fait honneur.

C’était le 4 mai. Ce jour-là, étant monté à cheval pour procéder à la visite des postes avancés, il se trouva inopinément aux bords du Rhin, en face de soldats de la République postés en nombre sur l’autre rive, exposé par conséquent « à recevoir ou des hommages, ou des insultes, ou des coups de fusil. » Alors, à travers le fleuve s’engage ce dialogue :

— Est-ce vrai que le Roi est arrivé ? demande-t-on du côté des républicains.

— Oui, il est là.

— Nous voudrions bien le voir ; mais nous ne pouvons le distinguer.

Le Roi a entendu. Il fait mettre pied à terre au prince de Condé, au duc de Berry et à toute sa suite et seul, à cheval, il s’avance jusqu’au ras de la berge. « Le duc d’Enghien, qui commandait aux avant-postes, s’approche à la botte de Sa Majesté et lui représente avec respect qu’il est défendu de parler d’un bord à l’autre.

« — Mon cousin, lui dit le Roi, vous me mettrez aux arrêts demain ; aujourd’hui, il faut que je leur parle. »

Et s’adressant d’une voix retentissante aux soldats séparés de lui par la largeur des eaux, il leur tient ce discours :

« — Vous êtes curieux de voir le Roi ; c’est moi qui suis votre Roi, ou plutôt votre père ; oui, vous êtes tous mes enfans. Je ne suis venu que pour mettre un terme aux malheurs de notre patrie commune. Ceux qui vous disent le contraire vous trompent. Vos frères qui m’entourent partagent le bonheur que j’ai d’être avec eux et de me rapprocher de vous.

« Les soldats écoutaient en silence, avec une contenance embarrassée ; on voyait que leur cœur était ému, mais que leurs sentimens étaient contraints.

« Une voix s’éleva de notre côté, leur disant :

« — Puisque vous êtes bien aises de le voir, criez : Vive le Roi !