Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Wurmser, commandant en chef des troupes impériales, lui avait fait connaître que sa présence n’avait pas l’approbation de sa cour et que « Sa Majesté ferait bien de s’éloigner. » On lui offrait alors, par l’organe du comte de Saint-Priest qui était à Vienne, le château de Rothembourg sur les derrières de la Forêt-Noire. Cette première invitation restée sans effet, le maréchal, avec embarras et respect, informa le Roi que s’il ne se déterminait pas promptement à la retraite, il avait ordre de le faire enlever. « Cette insolente menace ayant donné lieu à la réunion d’un conseil, les deux commissaires anglais, militaire et civil, préposés au corps de Condé, MM. Crawfurd et Wickham, y furent appelés. Je le fus aussi. Là, en présence de Mgr le prince de Condé, Sa Majesté invita chacun à donner son avis. Je le répète avec peine, tous furent timides, ou ce qu’on nomme prudens. Mon tour de parler étant venu, je dis simplement :

« — On n’enlève pas le Roi au milieu de deux mille gentilshommes français.

« Ce propos ayant rendu de la hardiesse à ceux qui n’avaient que du courage, les Anglais, dont la politique était une grande déférence pour une cour qui leur fait constamment payer ses désastres, voulurent combattre ma résolution. Me sentant applaudi par mon maître et encouragé par le silence même de Mgr le prince de Condé, je soutins avec chaleur que le Roi n’ayant pas déféré à une invitation ne pouvait obéir à une menace.

« — On n’enlève pas, je le répète, le roi de France au milieu de deux mille gentilshommes ; je dis plus, on ne le tente pas.

« Le Roi ayant alors pris la parole et prononcé une opinion entièrement conforme à celle que je puisais dans son âme, le nouveau refus de Sa Majesté fut transmis au maréchal. Les Anglais dirent que j’avais la tête chaude et peu après, le 31 mai, l’armistice qui durait depuis le mois de décembre ayant été dénoncé, nous marchâmes de Riegel à Mülheim.

«… Et c’était dans cette situation et lorsqu’un zèle importun quoique bien naturel semblait d’accord avec la politique autrichienne pour tourmenter et éloigner Sa Majesté qu’au moment d’assister à une délibération où il s’agissait de remettre sur le tapis la question de son départ, le Roi s’approcha de mon oreille, en chantant : N’allons pas, n’allons pas dans la Forêt-Noire. »

Il est clair que d’Avaray, dans cette attachante relation, saisit avec une fougue de dévouement poussée à l’excès toutes les