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Lombardie autrichienne. C’est par cette voie que sous le nom de marquis de Trie passerait le Roi, sous prétexte de se rendre à Rome. Mais, une fois sorti du territoire lombard, il se dirigerait vers le Rhin. Les passeports furent délivrés tels qu’il les avait demandés. Au bout de huit jours, tout était prêt pour le départ lorsque, au dernier moment, les prétentions et la vanité de La Vauguyon faillirent le retarder.

Le Roi avait décidé qu’il prendrait dans sa berline Villequier, Cossé et d’Avaray, tandis que La Vauguyon et les autres gentilshommes s’en iraient ensemble par le Tyrol. Jaloux du Roi « comme un Espagnol du temps de Ferdinand et d’Isabelle, » La Vauguyon se plaignit d’un arrangement qui l’éloignait de son maître. Il admettait que Sa Majesté tînt à ne pas se séparer du comte d’Avaray. Mais, pourquoi le duc de Villequier ? pourquoi le comte de Cossé ? Sa fonction ne le mettait-elle pas au-dessus d’eux ? Dieu sait comment eût fini cette querelle d’étiquette qu’envenimait encore l’antipathie qu’avait inspirée le duc de La Vauguyon à l’entourage du Roi lorsque la nécessité de déjouer la surveillance toujours à craindre des autorités autrichiennes vint heureusement imposer une autre combinaison. Il fut convenu que La Vauguyon, qui physiquement présentait quelque ressemblance avec son maître, Villequier et Cossé partiraient dans le carrosse royal de manière à concentrer sur eux cette surveillance, tandis que le Roi, d’Avaray et d’Agoult, en plus modeste équipage, gagneraient la Suisse en traversant la Lombardie. Le duc de Fleury était parti trois jours avant, pour aller annoncer au prince de Condé l’arrivée de Louis XVIII. Le carrosse royal se mit en chemin dans la journée du 20 mai ; le Roi et ses compagnons attendirent la nuit pour partir à leur tour.

« Il était très essentiel, explique le Roi dans son journal, de dérober notre départ de Vérone, même au gouvernement vénitien, afin que la cour de Vienne n’en fût pas instruite… Comme il faisait très beau clair de lune, je commençai par me promener dans mon jardin, ensuite dans l’allée extérieure et, allongeant le tour à chaque fois, nous finîmes par arriver sous les arcades du Stradon, d’où nous montâmes en voiture. Nous eûmes bien quelque inquiétude d’un homme en redingote qui nous suivit. Mais, je ne crois pas que ce fût un espion, car le Podestat manda à son gouvernement que j’étais parti par la route de Volargne. » A