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vante tout haut d’être aristocrate. Les esprits sont très changés ; mais on déteste les étrangers avec raison et on est encore aveuglé sur son prince, quand on le voit les armes à la main contre ses sujets.

« Le Directoire exécutif est très mal composé, mais M. Bézenech, ministre de l’Ultérieur, celui qui m’a fait sortir du Temple, m’a priée de mettre son respect aux pieds de mon oncle. C’est très vrai ; cet homme est ambitieux, mais au fond aristocrate. Il m’a dit qu’il était ami intime de M. d’Avaray le père.

« En un mot, mon oncle, les esprits changent beaucoup ; on déteste le sang, on meurt de faim, et votre cœur est trop bon pour laisser mourir de faim les Français, quand il est en votre pouvoir de leur donner la vie, et de vous en faire aimer en donnant la paix à ma malheureuse patrie. C’est au nom du ciel et de mes vertueux et malheureux parens que je vous prie de pardonner aux Français et de leur donner la paix.

« Je vous envoie Cléry : certainement cela fera grand plaisir à mon oncle de voir la personne qui est restée avec mon père jusqu’à sa mort. M. Hue est avec moi. Je prie mon oncle de me faire dire s’il a reçu cette lettre. Je l’embrasse de tout mon cœur, et fais mille vœux pour le voir, et pour qu’il soit heureux. »

Si l’on veut se rappeler que la jeune fille qui tient ce noble langage achève à peine sa dix-septième année, on reconnaîtra que Louis XVIII est en droit de tirer quelque orgueil des liens qui l’unissent à elle.

« Nous restâmes confondus de respect et d’admiration, les yeux remplis de larmes, avoue d’Avaray. Nous lûmes et relûmes ce chef-d’œuvre de l’âme et du cœur de Madame Thérèse. Honteux, rougissant des petitesses dont je m’occupais si gravement la veille, je ne me sentais même pas digne de tomber aux pieds de cette adorable princesse. »

Quant au Roi, son sentiment éclate dans ce passage de la réponse qu’il adresse le surlendemain à sa nièce :

« Si ma tendresse pour vous me fait souffrir de vous voir dans une pareille position, cette même tendresse jouit aussi de l’honneur que cette dure épreuve va vous faire. C’est une enfant, une orpheline, livrée à elle-même, forte de ses seuls malheurs, qui va confondre les vues d’un souverain puissant, les ruses d’un cabinet fameux par son astuce et faire reconnaître, à l’Europe étonnée, de quelle source vient le sang qui coule dans