Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de profiter des malheurs de la France pour s’agrandir à ses dépens ?

Cette conclusion, Louis XVIII n’était pas seul à la tirer de l’attitude de l’Autriche. Le prince de Condé qui vivait dans l’intimité des généraux autrichiens, les émigrés qui résidaient à Vienne, ceux qui recueillaient les échos de cette capitale, à Londres, à Berlin, à Madrid, ne raisonnaient pas autrement que le Roi. Ils étaient tous également convaincus que le Cabinet de Vienne voulait annexer l’Alsace à l’empire d’Allemagne, peut-être même la Lorraine et la Franche-Comté, et qu’en prévision des conquêtes qu’il convoitait, il s’était mis d’accord avec la Prusse sur la part qu’il conviendrait de lui en rétrocéder.

D’Avaray allait plus loin encore ; il soupçonnait l’Empereur de vouloir, en mariant son frère à la fille de Louis XVI, faire d’un Habsbourg, un souverain qui régnerait en France sous le nom de sa femme. Ne racontait-on pas à Vérone qu’il existait à Paris un parti qui rêvait la couronne pour cette princesse ? Telles étaient les conjectures dont s’alimentait l’irritation du Roi et de d’Avaray contre cette cour d’Autriche « qui avait poussé l’impudeur jusqu’à proposer à Madame Royale un mariage sur lequel on n’avait fait à son oncle aucune ouverture parce qu’on prévoyait sans doute qu’il n’y consentirait jamais. »

Mais, s’irriter, s’emporter, protester même ne conjurerait pas le péril qui résulterait de cette abominable ruse si Madame Royale pour qui son cousin, le Duc d’Angoulême, éloigné d’elle depuis six ans était presque un inconnu, se laissait circonvenir par sa famille de Vienne, et si son autre cousin l’archiduc Charles qui aurait sur son rival l’avantage de vivre auprès d’elle parvenait à lui plaire. Il avait vingt-quatre ans et s’était déjà si brillamment conduit à la guerre que les témoins de sa vaillance prédisaient qu’il deviendrait promptement un grand capitaine. Ne pouvait-on craindre que la princesse fût éblouie par la perspective de ses lauriers ? Il fallait donc agir sans retard pour déjouer les menées ténébreuses de la cour d’Autriche.

C’est alors que d’Avaray, convaincu de la nécessité d’armer invinciblement la princesse contre les séductions perfides dont sans doute on va l’entourer et de la disposer en faveur de son cousin, en lui faisant croire que depuis longtemps elle est aimée, conçoit et fait approuver par le Roi tout un plan romanesque,